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Cartel sur « Télévision »

La mort du signe linguistique

6e séance (25 février 2010)

Date de mise en ligne : vendredi 23 avril 2010

Auteur : Guy MASSAT

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Guy Massat, « La mort du signe linguistique », sixième séance du séminaire 2009-2010, au café Clovis, le jeudi 25 février 2010.

« L’inconscient, ça n’a rien à faire avec l’inconscience », dit Lacan dans son séminaire XXIV : L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre. C’est-à-dire que l’inconscient n’est ni la conscience ni le préconscient et encore moins l’inconscience qui est le coma, sommeil profond, ou, au sens figuré, l’aveuglement. C’est, bien plutôt, la conscience qui s’évanouit dans le temps, se ferme et s’aveugle. Elle s’enferme et se barricade contre le temps dans l’illusion de croire qu’elle a conscience d’avoir conscience de quelque chose. Comme dit Lao zi : « Les cinq couleurs aveuglent l’homme ; les cinq sons assourdissent son ouïe ». Il y a entre l’inconscient et l’inconscience la même différence qu’il y a entre l’ignorant et l’ignare qui ignore qu’il ignore.

L’inconscient c’est l’éveil. L’inconscient c’est « l’ouvert ». C’est la conscience qui est sommeil. La conscience c’est la nuit, nyx, avec ses abominables enfants que dénonce Hésiode dans sa mythologie. La conscience et ses rêves sont des fantasmes à déchiffrer. Dépressions, angoisses sont d’abord des consciences de dépression et d’angoisse, ou, comme dit Lacan, des « fautes morales » (Télévision, p. 39)

L’inconscient est le mouvement qui part d’avant, accompagne et va par de là les consciences. « La vie n’est pas un songe », dit Lacan, parce que, la vie, le souffle vital, psyché, l’inconscient, c’est le réel (séminaire XI, Les Quatre Concepts, p. 53), le réel d’avant les fantasmes de la réalité. Le réel dont se dédoublent les semblants. C’est la parole du maître-inconscient qui est fait d’effets.

Gardons en mémoire le processus primaire de Freud. Un des secrets de Lacan consiste à privilégier ce processus primaire ou première topique, vous vous souvenez : « inconscient, préconscient, conscient ». Les psychanalystes américains (l’IPA) favorisent la deuxième topique, « ça, moi, surmoi » pace qu’elle s’applique plus facilement à la réalité consciente, ce qui les inscrit, de fait et de droit, à la SAMCDA (Société d’Alliance Mutuelle contre le Discours Analytique, à entendre comme « ça me céda », ou, « l’inconscient sera aboli » ou « le conscient doit domestiquer l’inconscient »). Coacher le moi, en croyant que « le moi doit déloger le ça » en faveur de normes idéologiques, renforce la culpabilité et la malveillance des Parques. Cette psychanalyse sans inconscient freudo-lacanien ne produit, que du S barré : $, du sujet insatisfait, pire, du sujet riant pour donner l’apparence de la satisfaction en simulant le bonheur.

L’inconscient, de Freud et de Lacan, c’est de la parole, mais une parole d’avant les choses et qui échappe à la parole ordinaire comme à la parole soi disant savante. Ce n’est pas la parole de l’énoncé mais celle de l’énonciation. « Dao ke dao fei chang dao », disait déjà Lao zi, 道可道,非常道, c’est-à-dire : « la parole véritable n’est pas la parole normale. »

Qu’est-ce que cette parole hors norme, cette parole de l’énonciation, cette parole d’avant l’impérialisme du principe d’identité et à quoi peut-elle servir ? C’est d’abord une parole qui désarme, et dont tout le monde est pourtant armé. Comme on l’a vu la dernière fois, il s’agit de la parole en tant que ligne ouvrante de fraction, de division qui sépare, en les produisant, le signe du sens, le signifiant linguistique de son signifié. Pourquoi s’y intéresser ? Elle sert à remettre l’inconscient en mouvement, tout spécialement lorsqu’il est refoulé, englué, bloqué par les pétrifications obsessionnelles des signifiés qui le contraignent à faire son retour brutal sous forme d’angoisse, de dépression et de souffrances diverses. Cette parole se distingue de l’énoncé de toute communication au sens ordinaire et technologique du terme.

Que dit cette parole surprenante de l’inconscient ? Elle dit : « va par delà toute conscience, va par de là tous les ensembles de conscience… Je suis la vertu du gai savoir » (Télévision [T], p. 40). Cette parole d’avant la parole rend possible la relecture des textes anciens ou modernes, pour une nouvelle écoute, et une amplification de leurs énoncés à travers le temps. C’est une sorte de plus value et de plus de jouir de toute parole. C’est la parole qu’écoute l’analyste dans celles de l’analysant. C’est, pourrait-on dire, la parole du rien, 無, du rien antérieur à toutes choses. Elle consiste « non pas à comprendre, à piquer dans le sens, comme dit Lacan (T., p. 40) mais à le raser d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu et jouir du déchiffrage ». Ce rien, encore une fois, n’est pas le rien nihiliste de la pensée occidentale qui nécessairement nie quelque chose qui est déjà là. Tel le « il y a » occidental, le « il y a quelque chose » et seulement après, cette chose peut être niée. L’être d’abord puis le néant après, et non pas le « parlêtre », ce concept lacanien qui devait remplacer le terme d’inconscient. L’inconscient de la philosophie et de toute la pensée occidentale vient après le conscient, tandis que, à partir de Freud, pour la psychanalyse comme pour la pensée chinoise, c’est l’inverse, l’inconscient est d’abord, le rien, wu, 無, est d’abord. L’inconscient, toute la psyché, tout « le souffle vital », est avant le conscient. Le vide précède les formes. Les formes viennent après le vide. Le rien est scansion la créatrice.

Pour la linguistique, la « linguisterie », comme dit Lacan, le signe est l’ensemble unitaire que forme la partie sensible du signifiant (sons, lettres) et la partie abstraite, le signifié. Signifiant et signifié servent à la communication, la barre de fraction qui les sépare c’est ce que nous appelons la ligne ouverte de la parole de l’inconscient : S/s. Cette ligne ouverte est, à strictement parler, la mort du signe, la mort du signe linguistique. Car, « dans un langage, explique Lacan, les signes prennent leurs valeur de leur relation les uns aux autres dans le partage lexical des sémantèmes (le texte) autant que dans l’usage positionnel, voire flexionnel des morphèmes (le sens), contrastant avec la fixité du codage ici mis en jeu » (« Fonction et champ de la parole et du langage », Écrit, p. 297).

Pour illustrer cette explication qui peut nous sembler, au premier abord, compliquée servons-nous du poème « le Cygne » de Sully Prudhommes. Mais, en entendant le signifiant « cygne » non pas comme désignant l’oiseau, mais, arbitrairement, par une « liberté libre » pour utiliser l’expression de Rimbaud, celui de « signe » comme si les cygnes étaient des signes et les images des mots. Le lac des cygnes deviendrait ainsi le « Lac’an des signes, le lac est l’entrelacs des signes ». Signe signifiant (sémantème) et signe signifié (morphème), forment ensemble le cygne noir de la linguistique. Tout le monde adore les cygnes. Mais c’est le signe qu’il faut tuer. De toute façon le signe de la lingusterie est toujours mis à mort par sa propre ligne fractionnelle, la flèche de l’inconscient. Inutile de rappeler que les poètes, en nous parlant d’une chose, nous parlent toujours d’autres choses, que la parole poétique ne se réduit pas à une communication unilatérale mais à la plus value non dite, ineffable, gratifiant, épanouissant telle une fleur, les autres dimensions de la parole. Ce trait appelle l’écoute. A chacun de faire l’expérience du ça parle et du ça écoute. Plus ça écoute plus ça parle. La lettre S ne ressemble-t-elle pas à un cygne, et le mot n’a-t-il pas la sonorité du signe et le signe n’est-il pas l’anagramme de singe ? On désigne par « esse », non pas le singe de l’être, mais toute sorte d’instrument ressemblant à un crochet, tant chez les musiciens que chez les bouchers. Sur une suggestion d’une auditrice C. Soumagne, Maud Ribler de la Compagnie du Théâtre de l’Epopée, va nous lire, pour illustrer ces métamorphoses sonores, le poème « le Cygne », de Sully Prudhomme, sur la musique de Tchaïkovski, intitulée « La mort du cygne » dont nous détournons, odieusement, le titre en « la mort du signe linguistique ». Nous tuons le mot cygne en disant signe. Car dire et différent de lire. Nous verrons ce que ça engendre. L’inconscient-maître est fait d’effets et le maître-effet défait. Les cygnes chantent avant de mourir, nous dit-on, la mort du signe linguistique ouvre sur le chant apollinien cygnes de l’inconscient. La mythologie rapporte qu’à la naissance d’Apollon et d’Artémis des cygnes firent sept fois le tour de leur île flottante.

[Lecture du poème]

Après la mort du signe linguistique qui inaugure, avec Freud et Lacan, l’éveil de l’inconscient lequel, tel le cygne du poème dormait « la tête sous l’aile entre deux firmaments » nous pouvons faire parler les mots autrement qu’ils ne s’expriment dans les dictionnaires, et spécialement le mot « psychanalyse ». Certes, comme on l’a vu (T., p. 17), « une pratique n’a pas besoin d’être éclairée pour opérer. » Mais aujourd’hui le temps n’est-il pas venu de définir ce qu’on entend par psychanalyse ?

M. Charles Hanly en tant que président actuel de l’IPA (Association Psychanalytique Internationale) va nous donner la définition de la psychanalyse. Rappelons que cette association fut fondée par Freud en 1910. Nous tenons là une excellente illustration du refoulé et tour du refoulé ou du comment un message, celui de Freud, revient à son émetteur sous une forme inversée. L’IPA compte plus de 12.000 membres dans plus de 40 pays avec une percée importante en Chine.

Voici donc comment le président de l’IPA définit la psychanalyse : « La psychanalyse… est la domestication de la vie instinctive et la quête de l’autonomie du soi » (Philosophie Magazine, février 2010, p. 77). Cette définition, qui est parfaitement exacte pour définir la morale, la religion, la philosophie et toute la pensée occidentale prônant la supériorité du conscient, comment pourrait-elle s’appliquer à la définition de la psychanalyse de Freud et Lacan qui soutient précisément le contraire : la supériorité de l’inconscient sur le conscient. Comment la psychanalyse serait-elle « l’autonomie du soi » puisque le soi se définit comme la conscience réfléchie qu’un individu peut avoir de lui-même ? La définition de l’IPA est le syndrome de la Samcda œdipienne qui, espère qu’un jour une molécule permettra au moi de déloger le ça, d’abolir l’inconscient. Pour cela, il faudra que l’homme ne parle plus que la même langue, une langue unique, sans jamais faire de lapsus, d’acte manqué, ou de fautes d’orthographe… Ce qui n’est pas encore pour aujourd’hui.

La psychanalyse, comme la cure psychanalytique, se définissent, tout au contraire par la mise en mouvement de l’inconscient. Certes, « analyser » c’est distinguer en les séparant les éléments d’un ensemble. Mais cette définition s’applique au sens second du terme analyse. C’est l’analyse du conscient. Soulignons encore une fois que le terme grec « analyse » a pour première définition : « libération » (Bailly). La psychanalyse n’est pas « la domestication de la vie instinctive ». Au contraire c’est la libération (analusis, αναλυσις) du souffle vital (psyché, ψύχη). Comment dit-on « souffle vital » en chinois ? On dit Qi (prononcez tchi) : 氣, comme dans Qi Kong 氣空, « souffle du vide ». Les graphies les plus anciennes du caractère Qi représentent des souffles qui montent et qui descendent nourrissant le ciel et la terre. Ciel et terre qu’on peut interpréter comme des images du signifié et du signifiant : s/S. Nous comprenons donc dès lors que Lacan distingue la fausse et la vrai psychanalyse. Rappelons-nous que l’IPA a interdit à Lacan en 1963 de tenir son séminaire sur Les noms du père (voir Jacques Lacan d’Éric Porge, p. 295). Pourquoi interdire à Lacan « les noms du père » ? Parce qu’il y réduisait l’Œdipe à du langage et le père à la polysémie du signifié. L’inconscient est du langage, donc l’Œdipe est nécessairement une métaphore du langage. Ce n’est qu’ainsi qu’Œdipe est universel, et, véritablement « la source de toutes les névroses » comme disait Freud.

C’est par le langage qu’on peut casser l’œuf du langage qui nous emprisonne : l’œuf d’Œdipe. Les Grecs ne croyaient pas à leurs dieux. Ils savaient qu’ils ne représentaient que des mots. D’ailleurs le terme « mythologie » est composé de deux termes qui signifient chacun parole, muthos et logos. C’est la parole dans la parole. L’Œdipe ne dépend pas d’un modèle culturel et social ou d’une conception biologique de la famille. Si l’Œdipe a une famille c’est celle des mots. On naît foutu dans les mots. Nos pères et nos mères ne sont que des signifiants et des signifiés. Lorsqu’ils divorcent on a l’impression de ne plus rien comprendre. Pourtant c’est à ce moment que ça reprend la parole. D’où le conseil plein de bienveillance du Chan : « Si vous rencontrez vos parents, tuez-les ».

La cure psychanalytique c’est la mise en mouvement de l’inconscient. En parlant sans savoir, en pratiquant l’association libre, on dénoue nos résistances pathologiques libérant ainsi un renouvèlement du « souffle vital ». Le saint, que Lacan assimile au psychanalyste, ne peut donc être le saint d’aucune religion. C’est un saint sans religion, fut-elle laïque. Toute religion, selon Freud, est fondamentalement une illusion. Reste le saint dont le seing marque : « sans religion ni rejet de la religion ». Le saint des cinq discours. Le saint de la Grande Santé, selon Nietzsche, le saint qui ne se nourrit qu’au sein de sa propre parole laquelle ne se nourrit que d’elle-même. Entre blanc et non blanc, pour prendre ce qui caractérise le principe d’identité et « l’autonomie du soi » selon l’IPA, le saint analyste est cette différence fractionnelle qui permet de distinguer le blanc du non-blanc. En somme le Saint de Lacan est le tiers exclu, la « position du mort ». Le tiers exclu, déchet pour la linguistique et la logique, est pareil à la barre fractionnelle du S/s, entre le signe et sens.

Topologie des nœuds du temps
(suite cartel n° 4)

曲则全,枉则直
qu ze quan,wang ze zhi
Qui sait se plier sait aussi résister.

En topologie il y a des nœuds dans l’ombre. Ce sont des nœuds trompeurs car on ne voit pas les dessus-dessous. Ce sont les nœuds vus dans le miroir du conscient. Voici un nœud borroméen dans l’ombre qu’on peut dessiner à partir de la lettre A.

Pour le réaliser il suffit de faire une courbe allant du 1 jusqu’au 2. Sans lever le crayon passer du 3 jusqu’au 4 et faire une courbe jusqu’au 5. Puis, sans lever le crayon, passer du 6 au 7 et faire une courbe vers le 1.

Ce borroméen dans l’ombre est une manière de revisiter le mythe de la caverne de Platon. Mais au lieu que ce soit la lumière du conscient qui rende compte de la vérité, ici c’est le conscient qui est l’ombre de l’inconscient. C’est un platonisme inversé.

« RSI, mon nom pour la psychanalyse », disait Lacan pour résumer son œuvre. Il proposait l’écriture borroméenne de l’inconscient et sa topologie des nœuds. Il appartient aujourd’hui à ses successeurs de se débrouiller en se mettant au travail dans cette dimension.

Pour comprendre la topologie lacanienne il faut d’abord se souvenir de la formule de Desargues que nous avons déjà vue : « Toute ligne, allongée à l’infini de part et d’autre, est un cercle ». Se souvenir aussi que l’écriture chinoise a pour origine les lignes brisées obtenues en chauffant des os ou des écailles de tortue. C’est le tracé ouvrant de la parole : O. C’est ce qui ouvre la topologie lacanienne des nœuds, et, dans la physique moderne, « les fluctuations du vide ». L’ensemble vide en mathématique est représenté par un O rayé : ∅. En chinois, c’est le Tai Ji, ou « nœud trivial » en topologie.

太極圖

Tai Ji

Le sommet suprême : l’état de vide avant toute distinction.

太極陰陽圖(又稱「太极兩儀圖」、「兩儀圖」

Dessin du sommet suprême et de la bifurcation Yin et Yang

La conscience n’est que l’ombre de l’inconscient. La réalité n’est que le théâtre des ombres de l’inconscient, toutes pareilles aux ombres chinoises. « Le monde (Umwelt) est un fantasme », explique Lacan, « une grimace du réel » (T., p. 17), le réel étant l’inconscient. L’écriture n’est que le fantôme des ombres.

L’objet petit a et le chan

Dans la clinique l’objet petit a sert, spécialement au psychotique, à suppléer le trou de l’inconscient, à le boucher en quelque sorte. Mais, en expérimentant des points de vue différents, on peut éclairer autrement la clinique de l’objet a. On peut le voir comme « la lettre volée » ou la « lettre détournée » « qui arrive toujours à sa destination » comme dit Lacan (Lacan, Écrits, p.41).

Ainsi, comme nous l’avons déjà souligné, le Chan ne signifie pas méditation mais absorption, « manger », faire disparaître, résoudre, dissoudre, absourdre. La ligne qu’on voit sur le site de l’autel dans le caractère primitif qui sert à traduire Chan est fondamentale :

Puisque, comme on l’a vu avec Desargues, toute ligne, allongée à l’infini de part et d’autre est un cercle. C’est la ligne ouverte de la parole, la rivière de l’illumination, l’ensemble vide, le zéro du nirvana, d’où le « un » comme simple fragment du zéro.

L’ob-jet (jet, jaillissement, ob, devant) a est dit « petit » parce que le fragment, l’abrégé, la concision, la rapidité produisent la prolifération et la puissance. Ce sont les particules les plus brèves, nous disent les physiciens quantiques, qui sont les plus puissantes.

L’ob-jet « petit a » selon Lacan se présente par cinq éclats principaux : 1°/ Le sein. Le sein représente la première chose dont on se nourrit. De quoi se nourrit la parole de l’être parlant ? La parole de l’être parlant se nourrit d’elle-même. Elle s’absorbe elle-même. Elle est volonté de jouissance et éternel retour d’elle-même : O, se nourrissant de la disparition de lui-même. Comme l’amour, la parole fait cercle sur elle-même en couronnant la fin par le début réalisant ainsi la perfection de la pulsion orale. C’est la pulsion se retournant sur elle-même. (Freud, « Destin des pulsions »).

2°/ Les fèces. Les fèces représentent l’impermanence de la matière. Les corps et les esprits passent comme des fèces. Cela nous conduit à la grande modestie. Inutile « de se la péter » comme on dit, nous passerons tous comme des fèces. C’est leur impermanence qui rend les fèces fertiles, comme tout ce qui pourrit. Toutes les choses, grossières ou subtiles, parce qu’elles passent, se démasquent comme étant des fèces. Tous les univers se réduisent à la pulsion anale du temps, aux fèces du temps. Tandis que pour le ça, le sans nom, le temps, justement ce qui passe, ce qui fractionne, il n’y a pas d’arrêt sur fèces. Il n’y a pas de fèces. Dans la mobilité du ça pas d’envers, pas de rives, tout passe. Donc, comme on peut dire en français « le ça n’est pas le sale ». Il va par delà, vide comme le temps. Il est la poussée continue qu’est le vide. Ainsi le maître Chan Houei neng (Xe siècle) peut-il enseigner : « Tout est vide depuis le commencement où y aurait-il du sale ? » Il n’y a pas de sale dont on pourrait se culpabiliser, pas de saleté à refouler, ni qui se transfère, pas de saleté qui se répéterait pour de pauvres bénéfices. L’objet a est la richesse des fèces qui, pareilles au temps, produisent la fertilité en disparaissant. C’est la mort fertile qui se dépense et ne se pense pas.

3°/ La voix. La voix représente la force. La pulsion sonore du petit a peut être à la fois silence quasi absolu et montée d’une tonalité si forte qu’elle peut tuer ou déraciner les arbres. Spécialement déraciner l’arbre des philosophes et de toutes les consciences (voir Descartes).

4°/ Le regard. Le regard représente la fulgurance de la pulsion scopique. Le regard du petit a est si puissant que là où il regarde les fleuves remontent jusqu’à leur sources. Spécialement les fleuves religieux de la honte.

5°/ Le rien. Le rien représente la scansion de la pulsion créatrice. Le rien est la création-négation en tant que scansion de la parole : 無. Comme dit Mallarmé « rien, le seul objet dont le néant s’honore ». « Wu, rien, dit Laozi, c’est l’origine du ciel et de la terre » : Wu ming tian di zhi shi, 無名天地之始.

Télévision

Dans une séance précédente nous avions vu que l’âme était définie en tant que poids et mesure. Nous avons vu que l’âme n’était que « la somme des fonctions du corps », lequel était un effet du langage inconscient. Lacan contredisait ici Aristote en expliquant que l’homme ne pensait donc pas avec son âme, comme l’affirme toute l’histoire de la philosophie mais qu’il pense avec le langage inconscient lequel découpe les corps et les esprits à sa façon, en tout cas d’une façon « qui n’a rien à voir avec l’anatomie » (Télévision, p.16) ni avec la logique.

Aujourd’hui (T., p. 34) il sera question de l’affect distingué par Lacan de « l’énergie naturelle ». L’affect, d’une manière générale, est défini comme étant un changement se produisant dans le corps et le mental. Sa distinction avec ce qu’on appelle « l’énergie naturelle » est importante car cette expression sert à tout et à n’importe quoi, notamment dans les discours débilitants sur les techniques extrême-orientales.

L’énergie naturelle, nous devons considérer, en dépit des apparences, qu’elle est fondamentalement passive. Même quand elle est aussi puissante que le sont les fleuves ou les chutes d’eau, la résistance des roches, ou la force les tempêtes. Toutes les forces naturelles sont passives car elles n’ont pas d’autonomie, elles dépendent les unes des autres et en dernier ressort de la parole. Si elles étaient autonomes elles pourraient agir par elles-mêmes. Les fleuves pourraient remonter jusqu’à leur source, les feux s’allumer ou s’éteindre sans raison, la terre s’évaporer à sa fantaisie et l’air souffler ou se reprendre quand il le voudrait. Bref, l’énergie naturelle ne serait pas maîtrisable par l’homme.

L’affect, nous montre Lacan, conformément à la découverte que l’inconscient est du langage, n’est pas dû à l’âme. L’affect est une interférence de la parole de l’inconscient, c’est complètement différent de la mesure de l’âme. L’affect est donc antérieur à l’âme, au corps et à l’esprit.

[Lecture du texte sur l’affect, de la page 34 à 39.]

Avant de continuer avec la page 39 où il est question du bonheur, revenons à la question que pose l’interviewer (p. 33) :

« Depuis que vous avez avancé votre formule, l’inconscient est structuré comme un langage, on vous oppose, sous des formes diverses : ce ne sont là que des mots, des mots, des mots. Et de ce qui ne s’embarrasse pas de mots qu’en faites-vous ? Qu’en est-il de l’énergie psychique ou de l’affect, ou de la pulsion ? »

Compte tenu de ce que nous avons dit plus haut vous voyez tous, j’en suis sûr, la débilité, de la question. Réponse de Lacan :

« Vous imitez là les gestes avec lesquels on feint un air de patrimoine dans la SAMCDA [Société d’Alliance Mutuelle Contre le Discours Analytique] ».

[Lecture du premier paragraphe, p. 33.]

« C’est avec un pied de nez que je sors comme ça aujourd’hui, histoire de rire à la télé, la SAMCDA. C’est expressément à ce titre que Freud a conçu l’organisation, à quoi ce discours analytique, il le léguait. Il savait que l’épreuve en serait dure, l’expérience de ses premiers suivants l’avait là-dessus édifié. » En effet, les premiers disciples de Freud l’ont complètement trahi, tel Adler, Jung, Klein, Rank, Reich, Binswanger, pour ne citer que les plus prestigieux, qui lui ont renvoyé, tel l’IPA, « son propre message sous un forme inversée », pour reprendre l’expression de Lacan.

Nous ne sommes affectés que par du langage. C’est le langage qui affecte. Le maître-inconscient est fait d’effets. Et le maître des effets défait.

« La tristesse, par exemple, dit Lacan (p. 39), on la qualifie de dépression, à lui donner l’âme pour support, ou la tension psychologique du philosophe Pierre Janet (remarquons au passage que Lacan qualifie Janet de philosophe, alors que Janet est un éminent psychologue et psychiatre, mais « philosophe » parce que son travail se cantonne au conscient et ne va pas à l’inconscient psychanalytique). Mais (la tristesse) ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale comme s’exprimait Dante voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure. » Structure et langage c’est pareil comme on l’a vu p.16. « A l’opposé de la tristesse, poursuit Lacan, il y a le gay sçavoir ».

L’expression « gay savoir », vient de Rabelais dans son Gargantua, chap. 10, où il montre qu’il y a, chez les disciples de Dionysos, « deux ivresses, deux rires, comme il y a deux manières d’interpréter », soit celle du discours conscient et soit celle du discours inconscient. « Le Gay Savoir » est aussi le titre d’une œuvre de Nietzsche de 1882 où cette différence est largement soulignée. Lacan reprend à son compte cette expression par laquelle il désigne expressément la vertu de l’inconscient. Vertu prise au sens étymologique de force.

« A l’opposé de la tristesse, il y a le gay savoir, lequel, lui, est une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, originel, comme chacun sait(le péché c’est le sens). La vertu que je désigne du gay sçavoir en est l’exemple, de manifester en quoi elle consiste : non pas comprendre, piquer dans le sens, mais le raser d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu pour cette vertu. Pour cela, jouir du déchiffrage. Ce qui implique que le gay sçavoir n’en fasse au terme de la chute le retour au péché ». C’est-à-dire que la chute c’est le retour au sens. La chute dans le sens c’est très précisément le péché.

« Où dans tout ça, ce qui fait bon heur ? Exactement partout. Le sujet est heureux. (Le sujet de l’inconscient est heureux. Ce qui l’oppose à la conscience malheureuse, la conscience du péché à la recherche de sens, du « bon sens, voire du sens commun » voir p. 19).

« C’est même sa définition, poursuit Lacan, puisqu’il ne peut rien devoir qu’à l’heur, à la fortune autrement dit (L’expression avoir l’heur signifie « avoir la chance », « avoir le bonheur », « avoir le plaisir de », « … et que tout heur lui est bon pour ce qui le maintient, soit pour qu’il se répète. » (Heur a pour étymologie le verbe « augerer » qui signifie s’accroître »). Le bon heur est ce qui accroît, heur, le bon.

« L’étonnant n’est pas qu’il soit heureux sans soupçonner ce qui l’y réduit, sa dépendance à la structure, c’est qu’il prenne idée de la béatitude, une idée qui va assez loin pour qu’il s’en sente exilé ».

Autrement dit, l’inconscient c’est le bonheur. Bonheur dynamique qui ne nous empêche jamais d’aller voir ailleurs.

Je vous remercie.

P.-S.

Prochaine séance, au même endroit, le jeudi 25 mars 2010, à 20 heures.

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