Psychanalyse-Paris.com Abréactions Associations : 8, rue de Florence - 75008 Paris | Tél. : 01 45 08 41 10
Accueil > Bibliothèques > Bibliothèque Psychiatrie > Les Exhibitionnistes

Charles Lasègue

Les Exhibitionnistes

Union médicale (1877)

Date de mise en ligne : vendredi 22 décembre 2006

Mots-clés : , ,

Charles Lasègue, « Les Exhibitionnistes », Études médicales du Professeur Charles Lasègue, Tome I, Éd. Asselin et Cie, Paris, 1884, pp. 691-700.

LES EXHIBITIONNISTES.

Notre langue médicale manque d’expressions pour désigner les états si nombreux qui servent d’intermédiaire entre la raison et la folie. Sous ce rapport, comme sous tant d’autres, la langue populaire est plus riche et, cependant, malgré la richesse de son vocabulaire, on est forcé de recourir, à l’occasion, à des néologismes. C’est cette nécessité qui excusera le titre que j’ai cru devoir donner à cette courte note.

Parmi les aliénés, il en est un grand nombre qui ne passent pas de l’idée à l’acte, et renferment leur activité dans la sphère toute psychique des conceptions délirantes. Étrangers au monde extérieur, ils lui empruntent peu et surtout ne lui rendent rien. D’autres, moins nombreux, n’ayant pas d’ordinaire franchi les limites extrêmes de la raison, éprouvent le besoin d’une demi-satisfaction, et, défiants ou intimidés, conforment partiellement leurs actions aux idées qui les dominent. Ce type se rencontre souvent chez les aliénés persécutés, chez ceux surtout qui, impliqués dans une persécution dont lis ne sont que l’objectif secondaire, se sont donné la mission de redresseurs de torts. Un seul exemple suffira pour faire comprendre cette étrange espèce de folie avortante.

Un employé d’une administration publique passe chaque jour, au sortir de son bureau, sous les fenêtres d’une jaune fille. La pensée lui vient que cette jeune fille est prise de passion pour lui, et que la résistance des parents est le seul obstacle à leur union. Cette donnée délirante que rien ne justifie l’obsède, et il se résout, après une attente de plusieurs mois, à entamer la lutte. Jamais il n’a essayé de lui parler, de lui faire parvenir une lettre ; il n’a cherché nulle part un renseignement ; mais tous les soirs d’abord, puis tous les jours ensuite, abandonnant ses occupations qui le font vivre, il se poste devant la maison ; il suit la famille partout, à l’église, à la promenade ; il l’attend à la porte des amis qu’elle a été visiter. Pas un mot, pas un regard expressif. Son rôle se borne à faire fonction d’ombre, et cela pendant plus d’une année, jusqu’à ce que la famille, effrayée de ce mutisme et de cette incessante obsession, demande qu’on l’en délivre à tout prix.

Si ce fait était une exception individuelle, il ne mériterait pas d’être rappelé, mais il s’est reproduit tant de fois sous mes yeux, avec des variantes qui ne changeaient rien au fond, qu’il acquiert une valeur pathologique. Cet homme rentrait dans la classe de ce que l’on ma pardonnera d’appeler les exhibitionnistes. Il faisait montre de sa personne et n’allait pas au delà.

Quand on interroge ces malades avec les ménagements qu’exigent de semblables aberrations, on soupçonne plutôt qu’on ne découvre le travail intime qui s’opérait dans leur esprit. L’insistance n’était pour eux qu’un procédé de concentration intellectuelle, et ils ressemblaient (venia sit verbo) au mathématicien qui pense devant un tableau noir où le schème d’une figure géométrique est grossièrement esquissé.

Le sens génital est certainement celui qui se prête le mieux à des perversions compatibles avec un suffisant exercice de l’intelligence. Toutes les déviations y sont représentées, que les étapes marquent un temps d’arrêt dans la démoralisation ou dans la débilité d’esprit. Même à l’état normal, il se comptait dans les satisfactions incomplètes, aussi est-ce lui qui fournit le plus aux exhibitions.

Un individu, presque toujours, sinon toujours un homme (je n’ai vu qu’une seule femme ainsi entraînée), est arrêté pour outrage public à la pudeur. Il a fait montre de ses organes génitaux, non pas au hasard, devant les passants quels qu’ils soient, mais au mêmes endroits, en regard des mêmes personnes, car le plus ordinairement le manège s’est répété nombre de fois avant qu’il ait donné lieu à une plainte, motivé la surveillance ; c’est un scandale privé plutôt qu’un outrage public.

La première pensée est qu’il s’agit d’un homme vicieux, ayant épuisé les débauches et réduit aux dernières ressources des excitations impuissantes. L’enquête prouve surabondamment qu’il n’en est rien. Le prévenu a les antécédents les plus honorables ; il n’était pas forcément aux limites de la virilité ; sa situation d’argent, son indépendance de tout lien lui permettaient et lui rendaient faciles les satisfactions autorisées, il ne se distingue ni par l’excès ni par l’absence d’appétition.

Seulement, tandis qu’on obtenait du persécuté persécuteur des demi-confidences, ici on ne pénètre presque jamais dans les sentiments intimes. L’individu, honteux, se renferme dans l’expression ou plutôt dans l’explosion de ses regrets ou de ses remords. Il lui semble que toute réponse serait compromettante, et que moins il rendra compte de ses sentiments, plus on croira à une impulsion excusable, parce qu’elle a été inconsciente. À défaut des aveux, les faits donnent quelques éclaircissements.

Le premier cas qu’il m’ait été donné d’observer m’avait laissé une vive impression. Il s’agissait d’un jeune homme (moins de 30 ans) appartenant à une famille honorable, jouissant lui-même d’une situation enviée comme secrétaire d’un personnage politique de cette époque. II était distingué d’esprit et de formes, et son éducation le rattachait au meilleur monde.

L’autorité avait été informée, par des plaintes multiples, d’un scandale qui se renouvelait dans les églises, toujours vers la tombée de la nuit. Un jeune homme, dont on donnait le signalement, se présentait subitement devant une femme en prière dans l’église alors peu fréquentée ; il étalait ses organes génitaux sans prononcer une parole et disparaissait dans l’ombre après une courte apparition.

La surveillance était difficile, à cause du nombre des endroits où elle devait s’exercer. Un soir, cependant, cet étrange fantaisie fut arrêté à Saint-Roch, au moment où il se livrait à son exercice périodique devant une vieille religieuse qui poussa un grand cri et éveilla l’attention du gardien. Le délit était si singulier que le parquet demanda un examen médical. J’eus avec le prévenu de longs entretiens dont je ne pus dégager que quelques indices. L’impulsion était invincible, elle se reproduisait périodiquement aux mêmes heures, jamais dans la matinée ; elle était précédée d’une anxiété qu’il attribuait à une sorte de résistance intérieure. L’enquête, poursuivie avec une sollicitude concevable, ne fournit que des documents négatifs. Tout était irréprochable, sauf les faits qui avaient motivé l’arrestation.

J’étais alors moins expérimenté, et, devant l’absence de toute conception délirante, de toute perversion intellectuelle ou nerveuse, je dus m’incliner et déclarer qu’il n’y avait pas lieu d’admettre l’irresponsabilité. J’ignore quelle suite fut donnée à l’affaire.

Peu de temps après, j’appris qu’une plainte avait été déposée contre un employé supérieur d’une administration, âgé de 60 ans, veuf et père de famille. On l’accusait de se poster près de sa fenêtre et d’y faire l’exhibition de ses organes génitaux devant une petite fille de 8 à 10 ans, qui demeurait en face de lui. Cette pratique avait lieu tous les matins, entre dix et onze heures ; elle s’était répétée pendant une quinzaine de jours, puis avait cessé pendant plusieurs mois pour se reproduire dans des conditions identiques. Je connaissais personnellement l’inculpé, j’allai le voir et lui demandai confidentiellement des renseignements qu’il ne refusa pas. Il avouait tout, reconnaissait l’énormité et l’absurdité de la faute, sans savoir, disait-il, comment s’en défendre. L’incitation instinctive était intermittente, mais, dès qu’elle se produisait, il la sentait invincible. Sa conduite, connue non plus par une enquête de police, mais par les relations de ses amis, échappait à tout soupçon. Averti à temps, il se décida à partir en Belgique avant l’instruction judiciaire. J’ai appris qu’il était mort un an après, à la suite d’accidents cérébraux.

D’autres exemples qu’il serait inutile de rappeler m’avalent permis d’établir ce qu’on me pardonnera d’appeler les caractères scientifiques de l’espèce ; exhibitions à distance, pas de manœuvres lubriques, pas de tentative pour entrer en relations plus intimes ; retour du même instinct aux mêmes lieux et habituellement aux mêmes heures ; pas un acte répréhensible au point de vue génital en dehors de cette manifestation monotone.

Comment pouvait s’expliquer cette aliénation partielle ! Fallait-il y voit un caprice inexpliqué, ou était-il possible de la rattacher à un état pathologique ? Je ne me bornai plus à chercher dans le fait un éclaircissement, et je regardai comme un devoir de remonter dans le passé et de continuer ma surveillance médicale dans l’avenir. Ce procédé avait deux mérites : médico-légalement, il était scientifique ; moralement, il était honnête.

Un officier supérieur en retraite (65 ans) est sous le coup d’une prévention d’outrage public à la pudeur, dans les conditions suivantes : Tous les deux jours, bizarre intermittence, il va se placer devant la grille d’une maison où habitent de jeunes filles, dans la localité où lui-même a sa résidence. Là il découvre ses organes génitaux ; puis, après quelques minutes, reboutonne son pantalon et continue sa promenade périodique. Détail non moins curieux, il dépose toujours sa canne au même endroit avant du se mettre en posture. L’inculpé jouit, en apparence, de la plénitude de sa raison, il répond pertinemment aux questions, nie sans insistance, en faisant valoir moins la non-existence que l’improbabilité du délit.

Or cet homme, d’une intelligence élevée, d’habitudes correctes, avait perdu sa femme il y a un an ; depuis lors, il était. sujet à des accès vertigineux avec contusion intellectuelle et parfois même subdélire. Il errait dans son jardin pendant les crises, prononçant des phrases sans suite, rentrait dans son appartement et s’endormait dans un fauteuil. Lui-même ne conservait qu’une vague notion de ces accidents, dont ses serviteurs rendaient un compte exact et détaillé. Sa mémoire, en toutes choses, avait faibli, et il avait dû renoncer, dans son isolement, à des lectures qui le fatiguaient sans l’intéresser. Une attaque de ce genre, mais plus intense, s’était produite chez un de ses parents au moment de se mettre à table et en présence d’une nombreuse compagnie ; on avait dû ramener le malade en voiture à son domicile. Il n’invoquait pas et ne pouvait invoquer, pour sa défense, des souvenirs, qui lui faisaient défaut. Aucune suite ne fut donnée à l’affaire, et le malade est mort depuis, hémiplégique, chez un de ses parents qui l’avait recueilli pour éviter de nouvelles aventures.

Un administrateur, également distingué jusque-là par l’intelligence, est arrêté pour une exhibition périodique de ses organes génitaux dans une rue de Paris. Ses antécédents sont d’une telle honorabilité qu’on admet un trouble mental sans recourir à l’expertise d’un médecin. Un an après, je suis obligé d’interner le malade dans un asile privé d’aliénés, où il succombe aux suites d’une démence sénile à marche rapide. L’attention une fois éveillée, on découvre que cette aberration génésique n’est qu’un chaînon dans la chaîne des perversions intellectuelles qui avaient passé inaperçues. En médecine mentale, les observations rétrospectives sont toujours les plus probantes ; des renseignements qu’on aurait sollicités vainement avant la chute se produisent en foule dès que les observateurs non médicaux sont mis sur la voie par la maladie confirmée.

On comprend que je signale des types, et n’entends donner ni une statistique ni un catalogue des cas trop nombreux que j’ai été en mesure de recueillir.

Un jeune homme (26 ans) est arrêté dans les conditions suivantes : Toutes les après-midi, à cinq heures sonnantes, Il se place au coin de la porte d’un pensionnat de jeunes filles. Au moment de la sortie des enfants externes, il découvre ses organes génitaux et laisse défiler les pensionnaires devant lui. Le manège uniforme quant au lieu, quant à l’heure, quant au procédé, n’est signalé qu’au bout d’une dizaine de jours. L’affaire s’instruit et donne lieu à une condamnation à quelques semaines de prison.

La famille réussit â empêcher que la chose ne s’ébruite, et le condamné peut rentrer dans l’administration à laquelle il appartient. Deux mois plus lard, il est mis en congé pour cause de maladie ; on s’aperçoit que ses écritures sont irrégulières, qu’il a des défaillances intellectuelles incompatibles avec son service. Le malade rentre dans sa famille. Il est célibataire, et sa conduite ne diffère en rien de celle des jeunes gens de son âge. Après un an d’oisiveté, surviennent des accidents cérébraux qui me forcent à provoquer le placement du malade. Il est dans un état de délire hypocondriaque, avec excitation, une forme connue, mais mal décrite ; sa conviction est que sa personne se compose de deux pôles en antagonisme : sa tête et ses organes. L’excitation passe de l’un à l’autre de ces foyers, et il est là, anxieux, attendant chacune des révolutions, qu’il compare à des secousses électriques. Un amendement relatif se produit bientôt, suivi d’une rechute ; et l’aliénation, devenue incurable, persiste encore aujourd’hui avec des accidents vertigineux graves.

Un homme de lettres (63 ans), de moeurs pacifiques, vivant, avec une soeur plus âgée que lui, dans les conditions les plus modestes et les plus dignes, est arrêté, un soir, faisant l’exhibition de ses organes génitaux dans une rue isolée de son quartier et devant de rares passants. Il est condamné à deux mois de prison. Un an plus tard, nouvelle arrestation, à la même heures, 9 heures du soir, en plein été, à l’entrée d’un des urinoirs des Champs-Élysées, attendant avec une passivité niaise. C’est un pauvre homme, faible de caractère, sujet à des éblouissements, à marche mal assurée, sans paraplégie, et présentant quelques intermittences cardiaques.

J’avais, il y a peu de jours, dans mon service un jeune homme qui peut servir de type. C’est par son observation très résumée que je clorai ce long et sommaire exposé.

X… a 20 ans. Il a fait la guerre comme soldat, puis comme sous-officier dans un régiment de ligne. Ses notes militaires sont parfaites de tout point. En 1813, étant au service, il est atteint d’une maladie mal définie qu’on aurait, à son dire, nommée fièvre typhoïde, qui se renouvelle à deux reprises dans la même année et, chaque fois, débute par une attaque subite et comateuse. Rentré chez son père, il y exerce la profession de commis marchand de vins. Une plainte est portée par une voisine qui l’accuse de se mettre demi-nu à la fenêtre, presque tous les jours, entre deux et trois heures de l’après-midi. X…, vivement réprimandé, s’enfuit de la maison, court la campagne, fait sur une route la rencontre d’une enfant, à laquelle il exhibe ses organes génitaux sans lui adresser la parole. Arrêté par le père, qui travaillait à peu de distance de là, il est condamné à deux mois de prison.

Sa peine finie, il se place chez son frère. Le même manège a lieu, à la même heure, à sa fenêtre ; même plainte est adressée à l’autorité ; mais la prévenu est soumis à mon examen, sur la demande de la famille. C’est un homme robuste, sain d’intelligence ; il avoue sans restriction, et déclare que cette tentation, dont l’étrangeté ne lui échappe pas, est au-dessus de sa force de résistance. Quand elle survient, il succombe, et il ne l’éprouve qu’à certaines heures de la journée. X… est d’ailleurs sujet à des attaques de sommeil maladif, dont on rencontre tant d’exemples au début de diverses affections cérébrales. On le trouve dormant au milieu de ses occupations, et demi-conscient de ce qui se passe autour de lui ; réveillé, il reprend immédiatement sa besogne. Jamais de crise ni épileptique ni épileptiforme.

Les faits que je viens de résumer portent l’empreinte des états pathologiques : leur instantanéité, leur non-sens reconnu par le malade, l’absence d’antécédents génésiques, l’indifférence aux conséquences qui en résulteront, la limitation de l’appétit à une exhibition qui n’est jamais le point de départ de lubriques aventures, toutes ces données imposent la croyance à la maladie.

Seulement, le fond sur lequel ces accès se développent n’a rien de commun avec les folies confirmées. À l’égal de toutes les affections intermittentes, qu’elles s’appellent la fièvre paludéenne, la goutte ou l’hystérie, la maladie fondamentale comporte des intermissions absolues.

Déclarer que la continuité est l’élément obligé de l’aliénation serait, aujourd’hui plus que jamais, une erreur inadmissible.

C’est pour poser un nouveau jalon sur la route encore peu frayée qu’on doit suivre dans la recherche des désordres intermittents et des impulsions par accès, que j’ai rassemblé ces souvenirs.

(Union médicale, mai 1877.)

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Charles Lasègue, « Les Exhibitionnistes », Études médicales du Professeur Charles Lasègue, Tome I, Éd. Asselin et Cie, Paris, 1884, pp. 691-700.

Partenaires référencement
Psychanalyste Paris | Psychanalyste Paris 10 | Psychanalyste Argenteuil 95
Annuaire Psychanalyste Paris | Psychanalystes Paris
Avocats en propriété intellectuelle | Avocats paris - Droits d'auteur, droit des marques, droit à l'image et vie privée
Avocats paris - Droit d'auteur, droit des marques et de la création d'entreprise