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Da Vinci Ode

Das Ding chez les Tontons flingueurs

Intervention du jeudi 16 février 2006

Date de mise en ligne : samedi 11 mars 2006

Auteur : Christophe BORMANS

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Texte de l’intervention du jeudi 16 février 2006 au cartel « Jouissance féminine et mystique ».

Le vautour : ça vaut pour un tour ! Encore ! Vous connaissez la chanson de Michel Delpech : Pour un flirt, avec son fameux refrain qu’on entendait, dans les années soixante-dix, dans toutes bonnes fêtes foraines dignes de ce nom :
 Pooooouuuuur... Un un petit tooooouuuuur... Un petit jooooouuuuur... Entre tes braaaaaaaaaas... Écriture qui n’est pas sans nous rappeler ici le caractère de ralentissement des voix à la Schreber !

Enfin ça commence par : « Pour un flirt avec toi, je ferai n’importe quoi ! » N’importe quoi, c’est bien ce qui est proposé à l’analysant : dîtes n’importe quoi, ce qui vous passe par la tête ! Avec cette différence ici, qu’il ne s’agit pas tant de « faire » n’importe quoi (autrement dit d’acting), mais bien de « dire » n’importe quoi. Autrement dit de dépasser le faire, d’aller au-delà du faire, du « trans-faire », et de passer à la parole. L’analyse, c’est donc bien plutôt : « Pour un flirt avec toi, je dirai n’importe quoi ! »

Parce que l’analyse c’est un flirt... Une chansonnette... Une chance-hônnette de quitter ses symptômes, ou du moins d’en faire quelque chose. Car il s’agit, précisément, comme l’entonne le second couplet de la chanson, de « tout quitter », c’est-à-dire de « quitter le tout », pour avoir peut-être une chance d’arriver au « pas-tout » :

« Je pourrais tout quitter
Quitte à faire démodé
Pour un flirt avec toi

C’est donc quitte à faire démodé moi aussi, que j’entame par Michel Delpech - dont je suis, il faut bien que je le reconnaisse tout de même, non pas tant une femme qu’un fan... Ah ! « Quand j’étais chanteur » !

Enfin, nous sommes tout de même introduit là, d’emblée, à ce dont j’avais prévu de vous parler ce soir... À savoir d’amour courtois... Et ce, comme de bien fait, au (sur)lendemain de la Saint-Valentin.

Flirter, to flirt, c’est à n’en pas douter une condensation, une métaphore si vous voulez, de « Fleurette ». Laquelle Fleurette, a donné son nom au fameux dicton : « Conter Fleurette », dont je ne vous rappellerai pas l’histoire ici, car Horace Raison la raconte beaucoup mieux que moi, dans la première section de son fameux Code Galant : Origine et étymologie du vieux dicton « Conter Fleurette ».

Enfin là encore, c’est Henri IV qui est intéressé : Le Vert-Galant, comme le rappelait Paul la dernière fois, quoique le « Vert » en question semble s’écrire avec un T et non un S, ce qui relègue (ou plutôt élève) son explication au rang d’interprétation.

Henri IV, vous le savez, c’est ce roi qui a fini par se convertir au catholicisme, à retourner sa veste, ou sa culotte. C’est un art ! Ce n’est pas donner à tout le monde, ou plutôt, c’est donner à tout le monde, encore faut-il y mettre la manière, du style quoi ! Alors si je « flirt » moi-aussi avec la « vraie » religion, c’est là encore, juste pour un petit tour, juste un petit jour.

Das Ding

Le sujet auquel je souhaitais vous introduire ce soir - l’amour courtois -, a été l’occasion pour Lacan de faire, vous le savez, une première incartade du côté de l’objet a. Car c’est en effet avec son séminaire sur l’Éthique de la psychanalyse (1959-1960), qui suit immédiatement celui sur Le désir et son interprétation, que Lacan va nous introduire le fameux das Ding.

Ce das Ding, Lacan le prend chez Freud, et très précisément à un endroit totalement soudain, à un dé-tour pourrait-on dire, d’un texte de 1925 : Die Verneinung, c’est-à-dire « La dénégation » ou « Le démenti ».

Le passage sur lequel Lacan va s’appuyer, dénote d’emblée le caractère hautement topologique de l’abord freudien de l’inconscient. Le passage en question se situe au sixième paragraphe d’un texte qui en compte neuf :

« Nun handelt es sich nicht mehr darum, ob etwas Wahrgenommenes (ein Ding) ins Ich aufgenommen werden soll oder nicht, sondern ob etwas im Ich als Vorstellung Vorhandenes auch in der Wahrnehmung (Realität) wiedergefunden werden kann. Es ist, wie man sieht, wieder eine Frage des Außen und Innen. »

Ce qui donne :

« Maintenant, il ne s’agit plus de savoir si quelque chose de perçu (une chose [ein Ding]) doit être pris ou pas par le moi, mais si quelque chose [etwas] comme une représentation pré-existante [Vorstellung Vorhandenes] peut aussi être regagné [wiedergefunden : regagné ou retrouvé] par le moi dans la perception (réalité). C’est, comme on le voit, encore une question de dehors à l’intérieur. »

Das Ding, c’est la Chose, le trou, la trouvaille, l’après-coup, l’objet retrouvé, dont la conséquence est : qu’il aura été perdu.

Alors Lacan nous fait toute une belle présentation de das ding en allemand (et par rapport à die Sache notamment), mais il en oublie tout de même que das Ding, en allemand, eh bien c’est du langage courant ! C’est, à proprement parler, le truc !

Alors quand on dit un truc, généralement, les psychanalystes n’aiment pas ! Ça veut rien dire... C’est de l’imaginaire !

Oui, mais truc, c’est l’anagramme de Turc. Vous connaissez la blague ? Qu’est-ce qui est plus fort qu’un Turc ?
 Réponse : deux Turcs.

Alors, voilà, c’est de l’imaginaire, oui, le grand et fort Turc, mais le problème, c’est bien - comme le rappelle régulièrement Paul -, que l’imaginaire, normalement, ça ne fait pas peur !

Alors pourquoi avoir peur de ce que l’on dénonce comme étant du ressort de l’imaginaire ? Eh bien parce que derrière cette boutade, il y a, bien entendu, le vide. Le vide de l’infini (le réel), accroché ici au symbolique, en ce sens qu’on peut faire série :
 +1 à chaque fois.

Parce que qu’est-ce qui est plus fort que deux Turcs ?
 Trois Turcs, etc. - et vous pouvez continuer la blague aussi longtemps que vous le voulez.

Derrière l’imaginaire donc, il y a toujours le réel ! C’est parfaitement bien représenté d’ailleurs par le nœud borroméen, où, juste au-dessous de l’imaginaire, vous retrouvez le rond du réel.

Vous voyez qu’il y a de quoi en perdre son Latin... Qu’il y a de quoi en oublier un nom : celui de Signorelli en l’occurence. Car derrière l’imaginaire de tout ce qui se précipite ici, chez Freud, les Boltraffio et autres, il y a bien les mœurs des Turcs, à savoir : la sexualité, la vie qui passe par dessus la mort, autrement dit : par dessus le symbolique, passe le réel.

Le truc, donc, c’est das Ding, ou plutôt - et prononcé à la française -, ça donne : dingue !

Les dingues, je les soigne...

Vous vous rappelez la fameuse tirade des Tontons flingueurs :
 « Non, mais t’a déjà vu ça ? En pleine paix, il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. J’vais lui faire une ordonnance et une sévère... J’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quat’ coins d’Paris qu’on va l’retrouver éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse, j’ventile ! »

« Moi, les dingues je les soigne » ! Vous connaissez la suite ? Car justement, il ne le soignera pas... Il en sera pour ses frais à chaque fois, le bon Raoul... Das ding, ça ne se soigne pas, surtout pas par une ordonnance au corps morcelé !

Alors on a là, - dans cette tirade - comme en condensé si vous me le permettez, toute la cure analytique, telle que je l’évoquai dans ma question à l’orateur de l’autre soir à la Salpêtrière, lequel effectuait un parallèle, je ne sais pas si vous vous souvenez, entre la psychanalyse et la torture.

Crac, un bourre-pif !

La torture, c’est fermer la porte : plus d’espoir, et d’emblée, se prendre un coup de poing dans la figure, l’histoire de causer quoi !

L’orateur avait l’air de s’indigner de la minceur de la frontière entre la psychanalyse et la torture. Mais dans l’inconscient, c’est pourtant comme ça que ça se passe. Comme dans la scène des Tontons flingueurs :

Une porte s’ouvre - « Il chante et puis crac un bourre-pif ! » C’est-à-dire qu’il y a d’abord une petite chansonnette : le fameux « Happy birthday to you » ! Ça, c’est ce que Lucien Israel appelle la lune de miel analytique, laquelle se transforme, bien vite parfois, en une lune de fiel ! Il est vrai que d’autres fois ça prend du temps. On veut fêter son anniversaire le plus longtemps possible. Mais c’est inévitable, à un moment donné : crac, un bourre-pif en pleine poire. C’est-à-dire, que le moi - cette pauvre pomme, cette pauvre poire -, ce monstre d’imaginaire s’en trouve quelque peu défiguré, afin de faire tout de même surgir ce réel qui se cache derrière.

Ce bourre-pif après la chansonnette, c’est donc cette seule chance-hônette de pouvoir accéder à l’inconscient, et finalement se réconcilier avec ses pulsions, ses mensonges, tout comme le figure très bien la scène de la cuisine - qui est la scène de la réconciliation - et, surtout, la dernière scène des Tontons flingueurs, celle de l’Église justement.

Mais en attendant, ce mec, Lino Ventura (alias Monsieur Fernand) est dingue, oui ! Vous vous rappelez du scénario ? Il est très simple. C’est l’histoire de quoi ? On va voir si vous vous en rappelez finalement ?

Car c’est ça qui est le plus curieux dans ce film, c’est qu’on en rigole encore, on connaît les dialogues par cœur, bref c’est un film culte, mais l’histoire, eh bien on ne s’en souvient plus. C’est d’ailleurs ça l’analyse ! On se souvient de « dits », de « phrases » et « d’interprétations », et finalement, on en oublie l’histoire !

Transmission

Mais il y a bien une histoire dans ce film, une histoire qui la traverse, qui traverse le film de long en large, de bout en bout, et je vous le donne en mille :
 Eh bien c’est l’histoire d’une transmission !

C’est un parrain mafieux, le fameux Mexicain, qui, au moment de mourir, lègue toute ses affaires à Lino Ventura. Mais ça ne l’arrange pas vraiement, lui, Lino Ventura. À vrai dire, il ne cache pas qu’il préférerait se la couler douce - en père peinard -, à Montauban ! Alors ce lègue, cette succession, cette transmission à quelqu’un qui, finalement, était peut-être le seul à ne rien avoir demandé, cette succession n’est pas sans nous rappeler la fameuse transmission zen, maintes fois narrée ici par Guy Massat... Vous savez, sur le fameux Pic-là, le Pic...
 Tiens, bah des vautours, justement, comme c’est curieux !

La métaphore comme déni de la métonymie

Alors si j’ai pu dire que ce Vautour était-là comme un déni, un déni dans le Léonard de Vinci de Freud, je corrigerai peut-être un peu le tir aujourd’hui, en disant qu’il s’agirai plutôt d’une métaphore... Reste à savoir quels sont les rapports entre le déni et la métaphore ! Et là, j’avancerai cette formule de la métaphore comme déni de la métonymie.

La métonymie est bien première et la métaphore la rompt - rompt le rond - la rompt comme un déni de faire série !

Série, par exemple, de la nomination de la Genèse, où Dieu, dans un premier temps, nomme en série les animaux :
 « Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent en abondance selon leur espèce ; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce » (Genèse, I, 21).

Nous sommes-là au quatrième jour, et on pourrait donc dire ici que Dieu « n’homme »... Puisque dans un second temps, effectivement, après avoir planter le jardin en Éden et y avoir mit un premier homme à l’intérieur, il se mettra à recréer, à créer une nouvelle fois les animaux ; et là, effectivement, il demandera à l’homme de les nommer :
 « L’éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. L’éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l’homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l’homme. Et l’homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs » (Genèse, II, 18-30).

Tout comme pour Adam et Ève, il y a deux temps de la nomination : un premier temps qui est celui de la métonymie, puis un second qui est celui de la métaphore.

Car c’est bien après le péché originel, au sortir de l’Éden, que Adam et Ève reçoivent, eux, pour la première fois leur nomination - c’est-à-dire, remarquez-le bien, qu’ils sont, pour la première fois du livre (de l’Écriture), véritablement nommés. Mais pas n’importe comment ; il est dit :
 « ... Eve : car elle a été la mère de tous les vivants. » (Genèse, III, 20).

Il faut donc attendre le Chapitre III verset 20 de la Genèse, et le bannissement du paradis terrestre, pour que Adam et Ève soient nommés : Adam, parce qu’il aura été le premier homme, Ève, parce qu’elle aura été la première femme, « la mère de tous les vivants ».

Le futur antérieur - non explicitement utilisé par Louis Ségond dans la traduction que je vous propose -, le futur antérieur vient là spécifier la métaphore, dans son déni de la métonymie (le fameux « selon leur espèce ») qui était déjà-là. Si Ève veut dire première femme, n’est-ce pas, elle était déjà la première femme (Ève) avant la nomination, mais elle l’était dans la série métonymique ; en d’autres termes, du strict point de vue d’un signifié qui glisse ici, et qui se retrouve sous la barre, de par la métaphore de ce futur antérieur. Et ce, remarquez-le bien également, après le trauma du péché originel ; en d’autres termes : pas de métaphore sans trou, sans trou-matisme.

La métaphore comme déni de la métonymie donc, et de ce fait, dans le cas qui nous préoccupe, le Vautour, qui vient là comme une métaphore, qui vient rompre avec la métonymie des désirs maternels de Léonard de Vinci.

Métaphore de Freud également, qui s’adressant à Jung à son retour de ce fameux et fabuleux voyage d’Amérique, lui met entre les pattes ce Vautour, bref lui met entre les griffes, entre les serres, la question de la transmission psychanalytique.

Série et hérésie

La métaphore, comme une hérésie (RSI) vient briser la série (SRI). C’est-là le déplacement de la lettre, la père-mutation du nœud borroméen !

C’est comme ça que l’analyse dénoue les symptômes : dîtes ce qui vous passe par la tête, autrement dit faîtes série (SRI), vous tomberez, tôt ou tard, sur le futur antérieur de la métaphore, sur l’hérésie (RSI), sur l’hérésie de votre propre structure psychique, de votre propre trou-matisme.

Pour qui se soumet à cet exe-RSI-S, doublement symbolique donc, ça ne peut pas manquer... d’arriver, ça ne peut pas rater : ou plutôt le ratage ne peut pas manquer, ou le manque ne rate pas.

La cure analytique, la cure par la parole, la cure par la série - la cure par le SRI -, pour qui la tient par le bon bout, par le bon bord, par le bor-roméen, est d’une efficacité thérapeutique qui ne sera jamais égalée.

Voir qui c’est Rat-houle

Mais revenons-en à la transmission et, précisément à Bernard Blier, qui lui fait son jaloux ! Bernard Blier, alias Raoul Volfoni ! Dont le signifiant n’émerge pas par hasard dans cette histoire de transmission... Car Volfoni, vous l’aurez compris, c’est le « Wolf », le loup, le « Wolf-honni » pourrait-on même dire, et nous retrouvons donc, encore une fois, le V et le double W du Wolf de la forclusion de L’homme aux loups.

Ce Raoul Volfoni, il est donc là comme un un loup, un rat... un rat-loup, un rat-oul... Ou encore comme un rapace - un Vautour - qui veut s’emparer de sa proie, mais qui va se faire lui-même emporter par son désir, parce qu’il n’y a pas encore de futur antérieur, de métaphore : le vautour ne lui est pas donné comme métaphore, il est encore dans le refoulement, dans le mensonge qu’il nous présente comme sa bonne foi.

Alors il essaye de convaincre Ventura (Monsieur Fernand) que, ma foi, tout ça c’est des conneries cette histoire d’héritage, cette histoire de transmission ; vous vous rappelez la scène, c’est au début du film, quand les deux frères se mettent pour la première fois, gentiment, à travailler au corps le dit Monsieur Fernand :
 « ... Le mexicain, ç’a été une épée, un cador. Moi j’suis objectif, on parlera encore de lui dans cent ans. Seulement faut bien reconnaître qu’il avait décliné, surtout de la tête.
 C’est vrai qu’sur la fin il disait un peu n’importe quoi. Il avait comme des vaps, des caprices d’enfant.
 Enfin, toi qui y a causé en dernier, t’as sûrement remarqué ?
 Remarqué quoi ?
 T’as quand même pas pris au sérieux cette histoire de succession ?
 Pourquoi ? Fallait pas ? Ben, j’ai eu tort.
 Ah, ah. Et voilà.
 Tu vois, Raoul, c’était pas la peine de s’énerver, monsieur convient.
 Y’en a qu’abuseraient de la situation, mais mon frère et moi, c’est pas notre genre. Qu’est-ce qu’on pourrait faire qui t’obligerait ?
 Décarrer d’ici. J’ai promis à mon pote de m’occuper de ses affaires. Puisque je vous dis que j’ai eu tort, là. Seulement, tort ou pas tort, maintenant c’est moi le patron. Voilà.
 Écoute, on te connaît pas. Mais laisse-nous te dire que tu te prépares des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdown, comme on dit de nos jours.
 J’ai une santé de fer. Voilà quinze ans que je vis à la campagne, que je me couche avec le soleil, et que je me lève avec les poules. »

Voilà, c’est comme ça ! C’est das ding, le truc ! Il est donc bien dingue ce mec, il est donc bien sur das ding et il ne cède pas !

Alors je vous fais le pari que si ce film est un film culte, c’est tout simplement, que beaucoup mieux qu’Antigone (anti-gang), il met en scène L’Éthique de la psychanalyse : ne pas céder sur son désir, et de la réconciliation qui en découle avec ses propres pulsions de l’inconscient, ces pulsions qui paraissent muettes, silencieuses, comme les fameux « spounc, spounc » du film !

Quant à la nièce (du Tonton) et au fameux Claude Rich : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants...

Voilà donc ce que c’est das Ding, présentée par Audiard ; et ce truc, eh bien il a à voir avec les femmes, en attendant de dire avec le féminin. Alors en quoi ce truc a à voir avec les femmes ?

Tiens, ça me rappelle ma finlandaise...

Eh bien Audiard va nous le dire clairement dans un autre de ses films, un autre des films auquel il aura participé (aux dialogues) et, en l’occurrence, « 100 000 dollars au soleil » :
 « Tiens, ça me rappelle ma finlandaise. Tu la connais mon histoire avec la finlandaise ?
 Oui.
 Bah toi qui la connaît pas tu vas te poiler ! Figure toi qu’un jour sur la piste d’Ibn Saoud, j’tombe sur un p’tit ingénieur des pétroles avec sa Land Rover en rideau. Il avait sa bonne femme avec lui, là, une grande blonde avec des yeux qu’avaient l’air de rêver et puis un sourire d’enfant : une salope quoi ! ... Moi je repère ça tout de suite parce que les femmes c’est mon truc ! »

« Les femmes c’est mon truc », c’est bien là une inversion, une permutation de : « les femmes c’est mon turc ». À savoir que, qu’est-ce qui me fait plus peur qu’une femme ? Deux femmes, etc. !

On est là dans le « plus un » ou « plus une », qui ajoute. À la différence, d’un Don Juan, pour qui, si c’est « une par une » qu’il les a, c’est en fait, qu’au reste de l’opération, il s’agit peut-être d’une de moins à chaque fois ! Ou plutôt, il serait plus juste de dire : « Homme-moins-une » à chaque fois. Car c’est en cela que l’homme est l’homme, semble nous dire la Genèse : c’est au prix qu’il peut s’en « re-trancher » une femme.

C’est là toute la différence entre « les femmes c’est mon turc » - c’est là, le discours de la névrose : pour l’homme comme pour la femme -, et « les femmes c’est mon truc », ça c’est autre chose, à situer du côté de das Ding.

La différence est encore plus flagrante entre « Mon truc, c’est les femmes » et les « Les femmes, c’est mon truc ». Car dans la phrase d’Audiard, vous voyez là l’objet (le complément d’objet), « les femmes », se retrouver en lieu et place du sujet, « mon truc ». Alors on va souvent chercher midi à quatorze heure dans les commentaires psychanalytiques, - parfois c’est nécessaire -, mais pourtant, il suffit de prendre ici l’exemple grammatical, et c’est exactement la définition de la sublimation selon Lacan : élever l’objet à la dignité de la Chose, et je dirai réussir à écrire cette permutation de l’objet et du sujet caractéristique du fantasme, c’est là, précisément, ce que j’entend par « élever l’objet à la dignité de la Chose ».

Mais il y a plus curieux encore dans cette expression : « Les femmes, c’est mon truc ». C’est le pluriel d’un côté (côté objet), qui est là dans une équivalence avec le singulier de l’autre (côté sujet).

Prix optimal et jouissance à la marge

Je dirai là que nous sommes-là dans une mise en équivalence, que cela équivaut à un raisonnement « à la marge », comme on dit en économie. C’est-à-dire un raisonnement au bord : au bord du trou. À savoir que pour le calcul, - je vais essayer de vous expliquer ça - pour le calcul de la jouissance (puisque c’est de ça dont il s’agit en économie, dans l’économie psychique en tout cas), c’est la dernière unité que l’on retranche qui vaut... Qui vaut pour un tour !

Pour calculer le prix « optimal », en effet, il faut calculer le prix qui maximise le profit (r) :

r(Q) = PQ - CT(Q)

Le profit, qui est une fonction des quantités produites, est égale à la recette totale - c’est-à-dire le prix (P) que multiplie les quantités produites (Q), moins le coût total (CT), qui est lui aussi une fonction des quantités produites.

Si r est une fonction, elle atteindra son maxima lorsque la dérivée de cette fonction sera nulle (tangente égale à zéro, c’est-à-dire ici horizontale).

Pour maximiser le profit, il faut donc que :

0 = P - CT’

Autrement dit :

P = CT’

À savoir, que le prix soit égal au coût marginal (CT’), c’est-à-dire le coût de la dernière unité produite.

Je vous fait remarquer au passage, que ce prix optimal, qui doit être égal au coût marginal, est strictement équivalent à la recette marginale, c’est-à-dire le supplément de recette qu’on obtient en vendant une unité supplémentaire.

Si vous m’avez permis ce dé-tour, je dirai que la jouissance maximale, pour un Don Juan par exemple, nous est donné par son supplément de jouissance (le plus de jouir), c’est-à-dire le prix qu’il est capable de payer pour sa dernière conquête. Ce que je veux dire, c’est que cette jouissance ne dépend en rien d’une globalité, d’une collection de femmes, d’un ensemble des femmes, de « toute-femme », mais de la dernière, et je dirai, justement, de la « pas-toute » femme !

C’est on ne peut plus benthamien comme raisonnement, et à mon avis beaucoup plus judicieux que ce que Lacan a pu dire sur la plus-value marxiste comme objet a, ou pu avancer du discours du capitaliste. Et d’ailleurs, pourquoi pas un séminaire sur l’économie de la jouissance psychique ou inconsciente l’année prochaine ? Ça nous changerait de la vision dans laquelle, me semble-t-il, est englué tout ce qui a trait à ce que l’on appelle la « Nouvelle économie psychique ».

Alors c’est du calcul un peu emberlifiquoté que je vous propose ici, mais c’est du calcul de voyou ! Et je vous rappelle la fameuse tirade de Gabin dans Le cave se rebiffe, lorsque Blier lui demande combien il pense que l’affaire qu’il lui propose pourrait rapporter :
 Vingt ans d’placard ! Les bénéfices, ça s’divise, la réclusion, ça s’additionne !

Langue des voyous

Alors ne croyez pas que c’est par hasard, qu’au moment où je m’apprête à parler de l’amour courtois, je tombe sur les Tontons fligueurs.

J’y ai suffisamment insisté l’année dernière, notamment dans la séance sur « Schreber et la langue des oiseaux » : l’amour courtois, c’est avant tout la langue des voyants, c’est-à-dire la langue des voyous ; et, je dirai donc aujourd’hui, la langue des Tontons flingueurs.

Je dis aujourd’hui, mais c’était en fait hier : dans les années cinquante. Aujourd’hui, la langue des oiseaux, la langue des voyous, c’est celle des banlieues. Alors j’espère que ça vous donnera l’envie de lire le livre de Dembo Goumane, Dembo Story, qui va paraître le 1er mars prochain, et auquel j’ai déjà consacré de longs développements dans un article de Psychologie de la violence. Car vous aurez là, un avant-goût de ce qu’est aujourd’hui, cette langue des oiseaux. Du reste, ses emprunts sont larges - et, ce qui est d’ailleurs très intéressant, la plupart du temps totalement ignorés par eux -, à la langue des Tontons flingueurs. Surtout, on peut y reconnaître l’esquisse de ce que Freud et Lacan appelle la sublimation.

Sublimation et reconnaissance sociale

Car ce n’est pas par hasard donc que je prend ici les Tontons flingueurs, les voyous comme appui à mon propos. Car c’est avec eux - bien plus qu’avec l’art me semble-t-il - que nous collons au plus près à ce que Freud qualifie effectivement de la sublimation. Ça paraît surprenant comme ça à dire, tant que je ne l’ai pas pointé, mais laissez-moi vous poser cette question :
 d’après vous, d’après vos souvenirs, qu’est-ce qui, selon Freud, caractérise au plus près la sublimation ?

Eh bien, il le dit très clairement, et Lacan le reprend également à son compte dans L’Éthique de la psychanalyse, c’est « la reconnaissance sociale »... C’est, plus précisément, une sorte de « reconnaissance sociale », qui bien que réussie reste, à plusieurs égard paradoxale, étrange sans être inquiétante, une « reconnaissance sociale », je dirai : au « forceps ».

Eh bien, avec les voyous, nous sommes au plus près de cette sublimation, en tant que ce qui les caractérise, ces voyous - Freud avait lui insisté sur les homosexuels, mais c’est encore plus flagrant chez les voyous -, ce qui les caractérise, c’est ce souci, incessant et paradoxal, de la « reconnaissance sociale ».

Je dis incessant, car les auteurs comme Alphonse Boudard ou avant lui Albert Simonin (qui est à l’origine des Tontons flingueurs avec toute sa série des Hotu), ne cesse d’y insister, y trouve véritablement là, la marque du Caid, du Cador, de l’épée : bref, de quelqu’un qui arrive finalement à se faire reconnaître, et pas seulement dans le mitan ! Lisez par exemple « Le savoir-vivre chez les truands » d’Albert Simonin qui vient d’être ré-édité l’année dernière. Albert Simonin, le « Chateaubriand de la pègre » comme l’appelait Léo Malet.

Rappelez-vous, par exemple, du Cave se rebiffe : Il s’agit justement, pour Blier là encore, de faire revenir aux affaires, le fameux « Dabe », dont le signifiant insiste déjà suffisamment ici - c’est l’image du bon père de famille auquel Jean Gabin, dans le film, souhaite ardemment coller. Or, précisément, ce « Dabe », eh bien il est rangé des voitures comme on dit ! C’est-à-dire qu’il a réussit à vivre comme un véritable bourgeois, ce qui est le summum à quoi les voyous aspirent : la « reconnaissance sociale » dans toute sa splendeur, dans toute sa « pirouette ».

Vous trouverez cela, si vous prêter attention, dans tous les films de la catégorie : Le cave se rebiffe, Le Gentleman d’Epson, etc., Razzia sur la Chnouf ou le dit Gros pierrot, alias Paul Frankeur, marié qu’il est avec sa « bourgeoise ancienne taulière » (la dite Marinnette), sort finalement de sa retraite pour prêter main forte à Henri Ferré, dit « Le Nantais »... Il y laissera d’ailleurs sa peau, c’est le drame du film !

Bref, et pour aussi paradoxale que ça paraisse, qu’un voyou ne tende qu’à la reconnaissance sociale, qu’à une vie bourgeoise, cela nous réaffirme ce que Lacan avançait de la satisfaction de la pulsion dans la sublimation, en tant que son trait le plus saillant à cette satisfaction, est son caractère paradoxal :
 « La satisfaction du ’l’rieb est donc paradoxale, puisqu’elle semble se produire ailleurs que là où est son but. » (Éthique, p. 133).

Eh bien ça, ce n’est pas nouveau, et ça n’a pas changé depuis, ça fait même sauter en l’air les petits commerçants, que, ma fois, les « racailles » des banlieues comme on dit, eh bien ils s’habillent en Lacoste et ils roulent en BMW ; c’est-à-dire qu’ils n’aspirent qu’à ça, qu’à ce que Freud pointe de la sublimation : « la reconnaissance sociale », et Dembo Story n’y fait pas exception, c’est d’ailleurs ce qui fait le tour extrêmement drôle et ironique du livre.

Lacan jungien ?

Alors on m’a gentiment reproché jusqu’à présent, de « flirter » - c’est le cas de le dire -, avec une dimension jungienne de l’inconscient ; mais c’est ici incontournable pour ce qui nous préoccupe : la sublimation. Puisque c’est précisément la dimension sociale qui est ici en jeu, et Freud nous le martèle, et Lacan - Lacan le jungien irai-je jusqu’à avancer -, Lacan ne s’y défile pas, et précise au contraire (à propos de la sublimation dans l’amour courtois) :

« Bien que tout à fait effacé de nos jours dans ses prolongements sociologiques, l’amour courtois laisse tout de même des traces dans un inconscient pour lequel le terme de collectif n’a aucun besoin d’être utilisé, dans un inconscient traditionnel, véhiculé par toute une littérature, par toute une imagerie, qui est celle dans laquelle nous vivons dans nos rapports avec la femme » (Éthique, p. 134).

Et plus loin :

« [...] Ce que je vise au dernier terme, c’est de mieux saisir, grâce à cette situation éloignée, ce qu’il en advient pour nous d’une formation collective à préciser, qui s’appelle l’art, par rapport à la Chose, et comment nous nous comportons sur le plan de la sublimation. » (p. 134).

Gentleman-cambrioleur et Voyou-psychanalyste

La sublimation, sa définition la plus courte et la plus simple, à un premier niveau, c’est donc - nous le dirons avec Lacan - le fait « d’inventer un objet dans une fonction spéciale, que la société peut estimer, valoriser, et approuver. » (Éthique, p. 135).

Vous voyez que cette dimension « collective » n’est nulle part aussi présente que dans la notion de sublimation. Je dirai même plus - et c’est là la trouvaille : s’il y a satisfaction, dans la sublimation, elle est bien du côté de de la société, non du côté de celui qui y a accès à cette sublimation ; car pour lui, justement, il s’agit bien plus d’une annulation, d’un zéro de jouissance ; ou plutôt : d’une épuration de jouissance, d’un assèchement du Zuyderzee comme dit Freud, bref d’un accès au vide.

C’est en cela que l’on peut même aller jusqu’à comparer le Gentleman-voyou rangé des voitures au psychanalyste, en tant qu’au terme d’une analyse il y a l’accès à la Chose : c’est que pour eux deux, « ma cache ! » comme dit Lacan : c’est bien la société qui est satisfaite ; et lui, le psychanalyste ou le voyou, qui dit bonjour à la bourgeoise et se fait inviter dans le monde, ça le fait bien marrer tout de même ! N’est-ce pas : plus on est de saints... ! Alors oui, de la même manière que le poète est un voyant - selon l’expression de Rimbaud -, le psychanalyste est un voyou.

Le truc de Freud

Alors j’ai dit que Lacan était jungien, parce qu’il a trouvé la Chose, la Chose de Freud, le truc de Freud. Parce que s’il y en a un qui avait trouvé le « truc » de Freud avant lui, c’est bien Jung ; et il le lui dit clairement, clairement dans sa lettre de rupture, à la veille de Noël 1912, le 18 décembre :

Cher Monsieur le Professeur !

Puis-je vous dire quelques paroles sérieuses ? Je reconnais mon peu de sécurité en face de vous, mais j’ai tendance à prendre la situation d’une manière sincère et absolument honnête. Si vous en doutez, la faute en retombe sur vous. J’aimerais cependant vous rendre attentif au fait que votre technique de traiter vos élèves comme vos patients est une fausse manœuvre. Vous produisez par là des fils-esclaves ou des gaillards insolents (Adler-Stekel et toute la bande insolente qui s’étale à Vienne). Je suis assez objectif pour percer votre truc à jour. Vous montrez du doigt autour de vous tous les actes symptomatiques, par là vous rabaissez tout l’entourage au niveau du fils ou de la fille, qui avouent en rougissant l’existence de penchants fautifs. Entre-temps vous restez toujours bien tout en haut comme le père. Dans leur grande soumission, aucun d’entre eux n’arrive à tirer la barbe du prophète et à s’informer une fois de ce que vous dites à un patient qui a tendance à analyser l’analyste au lieu de s’analyser lui-même ?

Vous lui demandez pourtant bien : “Qui donc a la névrose ?”

Voyez-vous, mon cher Professeur, aussi longtemps que vous opérez avec ce truc, mes actes symptomatiques ne m’importent pas du tout, car ils ne signifient absolument rien à côté de la poutre considérable qu’il y a dans l’œil de mon frère Freud. - Je ne suis en effet pas névrosé du tout - bien heureux ! Je me suis en effet fait analyser lege artis et tout humblement, ce qui m’a fort bien convenu. Vous savez bien jusqu’où peut aller le patient dans son auto-analyse, il ne sort pas de sa névrose - comme vous. Quand vous serez un jour tout à fait libéré de complexes et que vous ne jouerez plus du tout le père envers vos fils, dont vous visez constamment les points faibles, que vous vous mettrez vous-même en joue à cet endroit, alors je veux bien revenir sur moi et exterminer d’un coup le péché de mon désaccord avec vous.

Aimez-vous donc à ce point les névrosés que vous êtes toujours entièrement d’accord avec vous-même ? Vous haïssez peut-être les névrosés ; comment pouvez-vous alors vous attendre à ce que vos efforts d’agir avec le plus de ménagements et de la manière la plus aimante possible avec vos patients ne soient pas accompagnés de sentiments quelque peu mêlés ? Adler et Stekel se sont laissés prendre à votre truc et sont devenus puérilement insolents. Je me tiendrai publiquement de votre côté, en gardant mes opinions, et je me mettrai en secret à vous dire toujours dans mes lettres ce que je pense vraiment de vous. Je tiens cette voie pour la voie honnête.
Vous maudirez peut-être cet étrange service d’amitié, mais peut-être cela vous fera-t-il quand même du bien.

Avec les meilleures salutations votre entièrement dévoué,

Jung (Correspondance Freud Jung, pp. 670-671).

Alors voilà, ce « truc », par trois fois répété dans la lettre, non pas de rupture définitive, mais bien la lettre pivot de toute cette volumineuse correspondance, ce « truc » trois fois répété, eh bien d’après vous - question à mille balles comme dit Paul - d’après-vous quel en est le mot allemand ?
 Eh bien ce « truc », il est bien en français dans le texte allemand de Jung.

Alors bien sûr, vous me direz, ça sent ici l’achoppement, ça sent ici, plutôt, la « tête de Turc » ! Ça a un goût de résistance... Et Lacan va lui plus loin avec son das Ding, avec son truc à lui, qui a l’air de faire un peu plus le poids... Je veux dire qu’il n’est pas en plume... N’empêche, essayez d’imaginer une rencontre Freud Lacan... Elle n’a pas eu lieu car Freud ne l’a pas souhaité... Vous savez en effet, que Lacan ayant envoyé un exemplaire se sa thèse de doctorat à Freud, cette lettre est restée lettre morte... Nul doute qu’il a trouvé ce jeune français quelque peu effronté, tout comme il avait trouvé Dali effronté de prime abord. Il a dû se dire : celui-là, il est dans l’imaginaire !

Alors Lacan-lecteur de Freud, heureusement pourrait-on dire ! Car ces deux-là, s’ils s’étaient rencontrés, ça se serait peut-être terminé en jus de boudin ! « La Chose freudienne », cette conférence que Lacan prononce à Vienne en novembre 1955, eh bien c’est sa manière à lui de sublimer, de passer de la « tête de Turc » au « Truc-Ding », de le faire partager collectivement, de le faire reconnaître socialement, le « truc » de Freud...

Alors j’ai dis tout à l’heure, que si satisfaction il y avait dans la sublimation, elle est bien plus du côté de de la société ; bien plus que du côté de celui qui la « trouve » (trou-V), et nous rejoignons là la caractéristique fondamentale de la Chose, en tant que vide, en tant que trou.

De l’apologue du potier aux macaronis

Là encore, que l’on se retrouve avec des tontons à la mode ritale, en d’autres termes des macaroni, pour parler de la sublimation, cela ne doit pas nous surprendre. Cela ne doit pas, ici, nous surprendre étant donné la représentation même du macaroni, c’est-dire cet espèce de demi-tore, - cet objet oral pour le coup -, qui sied ici à merveille pour nous représenter « l’existence du vide au centre du réel qui s’appelle la Chose », selon l’expression de Lacan (Éthique, p. 146) :
 « Tout le monde fait des plaisanteries sur le macaroni qui est un trou avec quelque chose autour (...). Le fait de rire ne change rien à ce qu’il en est - il y a identité entre le façonnement du signifiant et l’introduction dans le réel d’une béance, d’un trou » (Éthique, p. 146).

Et je vous renvoie-là à l’apologue du potier que Lacan déploie dans la leçon IX de son séminaire (Éthique, p. 144 et suiv.). La conclusion en est la suivante :
 « Cette Chose, dont toutes les formes créées par l’homme sont du registre de la sublimation, sera toujours représentée par un vide, précisément en ceci qu’elle ne peut pas être représentée par autre chose - ou plus exactement, qu’elle ne peut qu’être représentée par autre chose. Mais dans toute forme de sublimation, le vide sera déterminatif (sic) » (Éthique, p. 155).

Sexe, violence et sublimation

Alors vous me direz toujours quels sont les liens entre l’amour courtois et cette si sale entreprise que la mafia ? Eh bien je répondrai avec Lacan que l’époque de l’amour courtois est justement l’époque des voyous, des voyants, c’est ce que relève parfaitement bien Lacan, contre toute attente ! Et c’est même ce trait dissonant qui empêche toute tentative socologico-historique de s’y retrouver dans ce dédale dit Lacan :

« Je ne force rien en vous disant que, une fois dépouillées toutes les données historiques, sociales, politiques, économiques, et mises en oeuvre toutes nos méthodes d’interprétation d’une superstructure, les historiens actuels prennent d’une façon vraiment univoque le parti de donner leur langue au chat. Rien ne donne une explication complètement satisfaisante du succès de cette extraordinaire mode, à une époque qui n’était pas si douce, ni policée, je vous prie de le croire - au contraire. On sort à peine de la première féodalité qui se résumait, dans la pratique, à la dominance sur une grande surface géographique de moeurs de bandits, et voici élaborées les règles d’une relation de l’homme à la femme qui se présente avec toutes les caractéristiques d’un paradoxe stupéfiant. » (Éthique, p. 151).

Que la Chose se dévoile sur fond de réel (réel de la violence en l’occurrence) ce n’est pourtant pas pour nous surprendre, nous. Stéphanie a pu elle-même le constater avec ce roi fou des 1001 nuits, le roi Shariar, ce véritable boucher. C’est même de ce ressort, que sont fait encore aujourd’hui tous les bon film « à l’eau de rose », justement, les films d’amour comme « Autant en emporte le vent » ou « Docteur Jivago » : c’est sur fond de guerre, de la violence du réel ou du réel de la violence - comme vous voudrez -, que ces scenarii se déploie et donne véritablement tout leur efficace, et qu’on en redemande. C’est là leur truc !

Et Lacan de nous rappeler en outre, que « ce phénomène (celui de l’amour courtois) est d’autant plus frappant que nous le voyons se développer à une époque où tout de même, on baisait ferme et dru, je veux dire où l’on n’en faisait pas mystère, où l’on ne mâchait pas les mots » (Éthique, p. 163).

Je vous rappelle à cet égard que les Tontons flingueurs, c’est l’époque de l’après-guerre (la seconde), c’est-à-dire l’époque de « La fermeture des Maisons closes », - expression particulièrement truculente ici lorsqu’il s’agit de création autour du vide n’est-ce pas ? - et où ces demoiselles (ces Dames) s’en vont michetonner sur le trottoir à la rencontre de leurs trou... de leurs troubadours !

L’a-saint-pt’hôte du féminin

Pour conclure, je pense que l’on peut tout de même entrevoir, que nous pouvons toucher ici, un féminin, du moins tel que j’y insiste, c’est-à-dire tel que Lacan le définit dans La signification du Phallus, à la toute fin, en conclusion de son article, soulignant que :

« Le fait que la féminité trouve son refuge dans ce masque par le fait de la Verdrängung inhérente à la marque phallique du désir, a la curieuse conséquence de faire que chez l’être humain la parade virile elle-même paraisse féminine ».

Eh bien à mon sens, nous avons tort de mettre cela de côté, car c’est par ce côté, par cette tendance asymptotique du voyou à tendre vers les insignes de la féminité, et par cette tendance asymptotique à se ranger des voitures (du phallus imaginaire) et à se faire mener par le bout du nez (au prix d’un pied de nez) par sa « bourgeoise ancienne taulière », que l’homme (ancien voyou ou pas) touche, concrètement je dirai - c’est-à-dire au-delà des discours tout fait quant à l’enseignement de Lacan -, par cette tendance asymptotique que l’homme, nous donne un exemple, qu’il peut toucher à ce que l’on appelle ici, aujourd’hui, le féminin.

Alors bien sûr, il s’agit à cette époque, dans le texte de Lacan, en 1958, de la féminité... Reste à prouver qu’il ne va pas asseoir ses formules de la sexuation sur cet article, ne serait-ce qu’au prix d’un forçage nouveau, celui de l’objet a, déjà présent dans la Chose freudienne, das Ding, le truc.

Quant à la « Verdrängung inhérente à la marque phallique du désir », j’essaierai de montrer la prochaine fois, que si elle est repérable du côté de l’art, les « tirades » des voyous y échappent, constituant ici, véritablement, une sublimation, en ce sens qu’à la différence de l’art, les voyous comme l’amour courtois se situent, eux, irrémédiablement, non du côté de la chansonnette, mais bien du côté du langage, de l’engagement : de « l’engage-ment » dans la parole.

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