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Théodore FLOURNOY

Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme

Des Indes à la planète Mars (Chapitre III)

Date de mise en ligne : mercredi 19 avril 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE TROIS
Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme

Après avoir essayé dans le chapitre précédent de reconstituer en ses grands traits l’histoire de Mlle Smith jusqu’au moment où le spiritisme vient s’en mêler, j’aurais voulu dans celui-ci faire une étude détaillée de sa vie psychologique au cours de ces dernières années, sans d’ailleurs aborder encore le contenu proprement dit de ses automatismes. N’ayant pu accomplir ce dessein à ma satisfaction, faute de temps et de patience, je tâcherai du moins de mettre un peu d’ordre dans mes notes en les groupant sous quatre chefs. Je retracerai d’abord la naissance de la médiumité d’Hélène, pour autant que cela est possible avec les maigres renseignements que j’ai réussi à me procurer sur une époque où je ne la connaissais point. Puis, passant à des faits qui me sont plus familiers, je décrirai rapidement son état normal tel que j’ai pu le voir depuis quatre ans ; c’est ici qu’une étude de psychophysiologie individuelle eût été à sa place, mais j’ai dû y renoncer par suite de difficultés multiples. Enfin, je présenterai quelques remarques sur les principaux phénomènes automatiques qui constituent le côté anormal de son existence, et qu’il convient de subdiviser en deux groupes, selon qu’ils sont spontanés, c’est-à-dire jaillissant d’eux-mêmes dans le cours de sa vie ordinaire, ou provoqués par la recherche voulue de certaines circonstances favorables, ce qui constitue les séances proprement dites.

I. DÉBUTS MÉDIUMIQUES DE Mlle SMITH

Dans l’hiver 1891-1892, Mlle Smith entendit parler du spiritisme par une de ses connaissances, Mme Y., qui lui prêta le livre de Denis, Après le mort. Cette lecture ayant vivement excité la curiosité d’Hélène, Mme Y. l’engagea à l’accompagner chez une sienne amie, Mlle Z., qui s’intéressait aux mêmes questions et avait de l’écriture automatique. On décida de se réunir pour des expériences régulières. J’emprunte aux notes personnelles que Mlle Z. a bien voulu me communiquer le récit, trop succinct malheureusement, de ces séances où les facultés médiumiques d’Hélène firent leur première apparition :

C’est le 20 février 1892 que je fis la connaissance de Mlle Smith. Elle fut amenée chez moi par Mme Y., dans le but de tenter l’organisation d’un groupe spirite. Elle était alors absolument novice en fait de spiritisme, n’avait jamais rien tenté, et ne se doutait pas des facultés qui se développeraient en elle.

20 février. Première réunion. Nous débutons par la table ; nous n’arrivons qu’à la faire osciller. Nous considérons Mme Y. comme le médium sur lequel nous pouvons compter. Nous essayons de l’écriture : nous recevons par mon intermédiaire des encouragements à persévérer.

26 février. Progrès ; la table se meut bientôt, salue tour à tour tous les membres du groupe, nous donne quelques noms, dont un seul connu... Écriture : Mlle Smith, qui essaye pour la première fois, écrit mécaniquement, les yeux fermés, quelques phrases où l’on peut déchiffrer quelques mots.

11 mars. Pas d’autre note sur cette séance qu’une communication écrite par moi.

18 mars. Progrès. Communication nette par la table. Tentative d’expérience dans l’obscurité (qui n’était pas absolue, le foyer contenant encore des braises incandescentes répandait une faible lueur ; nous nous distinguions à peine). Mlle Smith voit un ballon tantôt lumineux, tantôt s’obscurcissant ; elle n’a jamais rien vu auparavant. Écriture : Mlle Smith écrit mécaniquement une assez longue communication du père de M.K. [un étudiant bulgare présent à la séance] : conseils à celui-ci.

À partir d’ici, l’assistance devenue trop nombreuse se scinda en deux groupes, dont l’un continuant à se réunir chez Mlle Z. ne nous concerne plus. Mlle Smith fit partie de l’autre qui s’assembla chez une dame N., et y eut à peu près une séance par semaine pendant près d’un an et demi (jusqu’à fin juin 1893). Les procès-verbaux de ces réunions, conservés par Mme N., sont malheureusement très sommaires et muets sur beaucoup de points qui intéresseraient le psychologue. Ceux des premiers mois sont de la main même de Mlle Smith, qui fonctionna comme secrétaire du groupe pendant treize séances ; comme on ne notait sur le moment que les dictées textuelles des esprits, et qu’elle rédigeait le reste de mémoire les jours suivants, on ne peut trop compter sur l’exactitude objective de ces rapports qui ont en revanche l’avantage de nous présenter la médiumité d’Hélène racontée par elle-même. Elle y parle d’elle à la troisième personne. Je me borne pour l’instant à résumer d’après ces comptes rendus les deux premières séances tenues dans ce nouveau milieu.

25 mars 1892. Onze personnes autour d’une grande et lourde table de salle à manger en chêne, à deux battants. La table se met en mouvement et plusieurs esprits viennent donner leurs noms [par coups frappés] et témoigner du plaisir qu’ils ont à se trouver au milieu de nous. C’est dans cette soirée que Mlle Smith commence à distinguer de vagues lueurs, de longs rubans blancs s’agitant du plancher au plafond, puis enfin une magnifique étoile qui dans l’obscurité s’est montrée à elle seule pendant toute la séance. Nous augurons de là qu’insensiblement elle finira par voir des choses plus distinctes et possédera le don de voyante.

1er avril. Violents mouvements de la table dus à un esprit qui se nomme David et s’annonce comme le guide spirituel du groupe. Puis il fait place à un autre esprit qui se dit être Victor Hugo et le guide protecteur de Mlle Smith qui est fort surprise d’être assistée d’un personnage aussi important. Il disparaît bientôt. Mlle Smith se sent très agitée ; elle a des frissons, est partiellement glacée. Elle est très inquiète et voit tout à coup, se balançant au-dessus de la table, une figure grimaçante et très laide avec de longs cheveux rouges. Elle est si effrayée qu’elle demande qu’on fasse de la lumière. On la calme et la rassure ; la figure disparaît. Elle voit alors, posé sur la table devant l’un des assistants, M.P., un magnifique bouquet de roses de nuances diverses ; tout à coup elle voit sortir de dessous le bouquet un petit serpent qui, rampant doucement, vient sentir les fleurs, les regarde, cherche à s’approcher de la main de M.P., s’en éloigne un instant, revient doucement se blottir et disparaître dans l’intérieur du bouquet. Puis tout se dissipe et la table frappe les trois coups terminant la séance. [M.P. comprit après coup le sens de la vision du bouquet et du serpent, qui était une traduction symbolique d’une impression émotionnelle ressentie par M" Smith.]

Telle fut l’éclosion de la médiumité d’Hélène. Quasi nulle le 20 février, où les mouvements de la table (quoique venant déjà d’elle selon toute probabilité) ne lui sont pas attribués, elle apparaît aux séances suivantes dans deux essais d’écriture automatique (malheureusement perdus) à l’imitation du médium écrivain chez qui elle se trouvait ; la réussite du second essai fait supposer que les facultés d’Hélène se seraient rapidement développées dans cette voie, si elle ne l’eût aussitôt abandonnée en changeant de milieu. Sa faculté de voyante, suggérée par les tentatives de séances obscures, se montre le 18 et le 25 mars sous la forme d’hallucinations élémentaires, ou vaguement figurées, ayant leur point de départ probable dans de simples phénomènes entoptiques, lumière propre de la rétine, images consécutives, etc., puis, encouragée par les prédictions des assistants, elle atteint dès le 1er avril aux visions proprement dites, ayant un contenu varié et une signification réelle ou symbolique. En même temps se perfectionnait son automatisme typtologique, confondu les premières lois dans l’action totale des assistants réunis autour de la table, mais qu’on ne tarda pas à distinguer ; on le reconnaît dans ce nom de Victor Hugo venu pour Mlle Smith particulièrement, et on le soupçonne rétrospectivement dans un nom donné déjà à la seconde séance. Les hallucinations auditives n’ont pas tardé à compléter cet ensemble, mais il est impossible de savoir au juste à quelle date, les procès-verbaux n’indiquant pas clairement si les messages textuellement rapportés sont dus à cette origine ou ont été épelés par la table. À ces formes déterminées d’automatisme, il faut encore joindre les fréquents phénomènes d’émotion, frissons, tristesse, inquiétude, frayeur, etc., qui, éprouvés par Hélène sans qu’elle sache d’abord pourquoi, se trouvent ensuite en parfaite conformité et en connexion évidente avec le contenu des communications que ces phénomènes émotifs précèdent généralement de quelques moments.

Ainsi, en une demi-douzaine de séances hebdomadaires, la médiumité de Mlle Smith avait revêtu l’aspect psychologique complexe qu’elle devait dès lors conserver intact pendant trois années, et dont je fus témoin lorsque je fis sa connaissance. La rapidité de ce développement initial n’a rien d’excessif, puisqu’on voit des médiums, qui s’ignoraient complètement jusque-là, atteindre dès le premier essai un degré qu’ils ne dépasseront plus guère dans la suite. Ce qu’il y a de particulier chez Hélène, c’est qu’après être restées absolument stationnaires, dès leur apparition, pendant une aussi longue période, ses facultés médiumiques subirent tout à coup au printemps de 1895 l’énorme transformation et le magnifique épanouissement, tant au point de vue de la forme que du contenu des automatismes, que j’ai décrits dans le premier chapitre et sur lesquels je ne reviens pas. (On trouve cependant un lointain présage de cette évolution future dans les courts moments de « sommeil », en réalité de somnambulisme, qu’Hélène eut dans quelques séances de 1892. Voir la note 2, p. 31).

Pour une histoire complète de la médiumité de Mlle Smith, il faudrait maintenant passer en revue les nombreuses séances qu’elle eut d’abord dans le groupe de Mme N. jusqu’en juin 1893, puis, après un intervalle de six mois sur lequel je n’ai aucun renseignement, dans la famille de M. Cuendet et chez diverses autres personnes pendant l’année 1894. Mais je me sens incompétent pour narrer tout au long des phénomènes auxquels je n’ai pas assisté et dont il n’existe que des procès-verbaux peu circonstanciés. Je dois donc me borner à faire un choix des faits les plus caractéristiques, et qu’il serait vraiment regrettable de passer entièrement sous silence ; mais c’est dans les chapitres suivants que ces faits trouveront leur place naturelle, à propos des sujets auxquels ils se rapportent plus directement.

II. Mlle SMITH DANS SON ÉTAT NORMAL

J’allais dire qu’à l’état normal, Mlle Smith est normale. Quelques scrupules m’ont retenu - la crainte d’imiter ce bon M. de la Palice - et je me ravise en disant que dans son état ordinaire elle paraît comme tout le monde. J’entends par là qu’en dehors des trouées que les séances et les explosions spontanées d’automatisme font dans son existence, nul ne se douterait, à la voir vaquer à ses diverses occupations ou à causer de choses et d’autres avec elle, de tout ce dont elle est capable dans ses états anormaux et des trésors de curiosités qu’elle recèle en ses couches subliminales.

De complexion saine et vigoureuse, de belle stature, bien proportionnée, aux traits réguliers et harmonieux, tout en elle respire la santé. Elle ne présente aucun stigmate visible de dégénérescence. Quant à des tares ou anomalies psychiques, abstraction faite de sa médiumité même, je ne lui en connais point de notables, les dispositions craintives de sa jeunesse ayant presque complètement disparu. Au physique elle se porte à merveille. Il le faut bien d’ailleurs, pour faire face aux exigences d’une profession où elle est occupée près de onze heures par jour, presque continuellement dans la station debout [1], et qui ne lui laisse guère qu’une semaine de vacances en été. Sans compter qu’outre ce travail si absorbant hors de chez elle, elle aide sa mère à la maison, matin et soir, aux soins du ménage, et trouve encore le temps de lire un peu, de jouer parfois du piano, et de faire de ravissants ouvrages d’agrément, qu’elle compose et monte elle-même et où éclate son goût exotique très original. Ajoutez enfin, à cette vie si remplie, les séances spirites qu’elle veut bien accorder ordinairement le dimanche, parfois dans la soirée d’un autre jour, d’une façon toujours absolument désintéressée, aux personnes qui s’occupent de questions psychiques ou qui désirent consulter Léopold sur des sujets importants.

Avant d’affirmer qu’une personne présentant des phénomènes aussi extraordinaires que ceux de la médiumité est normale quant au reste, il faudrait s’être livré à une investigation approfondie de toutes ses fonctions organiques et mentales, analogue à l’examen auquel un chef de clinique peut soumettre les malades de son service sans cesse à sa disposition, ou qu’un psychologue entreprend dans son laboratoire sur un sujet de bonne volonté prêt à répondre à toutes ses questions. Or tel n’a point été mon cas avec Mlle Smith. Pour diverses raisons sociales ou pratiques, je ne me suis pas trouvé vis-à-vis d’elle dans la position privilégiée du professeur Pierre Janet vis-à-vis des ressortissantes de la Salpêtrière, ni même du docteur Toulouse vis-à-vis de M. Zola. L’exemple de ce dernier, prouvant une fois de plus qu’aux yeux de la science les individus exceptionnels finissent toujours par se trouver entachés peu ou prou de névropathie, donne à penser, indépendamment de cent autres raisons, que les facultés médiumiques ne vont pas sans un accompagnement de diverses particularités plus ou moins cachées. Je me plais néanmoins à reconnaître qu’en ce qui concerne Mlle Smith, pour autant qu’il ressort de ses conversations, des renseignements que j’ai pu recueillir, et de quelques petites expériences banales, elle ne présente aucune anomalie des facultés physiques, intellectuelles et morales, entre les moments où la vie automatique fait irruption en elle.

Son champ visuel, qu’elle m’a permis de mesurer au périmètre de Landolt, s’est trouvé normal tant pour le blanc que pour les couleurs. Elle a une perception très délicate de ces dernières. Pas trace d’anesthésie tactile ni douloureuse aux mains. Aucun trouble connu de la motilité. Le tremblement de l’index donne une ligne, à quatre oscillations par seconde en moyenne, ne différant en rien des lignes recueillies sur des étudiants normaux (voir plus loin fig. 2). Il est clair qu’on ne peut pas conclure grand-chose de recherches aussi peu étendues.

Mlle Smith n’a jamais eu aucune maladie proprement dite, rougeole, fièvre typhoïde ni autres. Sauf qu’elle a toujours souffert d’une dysménorrhée qui a résisté à divers traitements, et qu’elle prend parfois la grippe au printemps, elle jouit d’une excellente santé, qui a cependant subi il y a trois ans une atteinte momentanée dont je dois dire quelques mots. Il s’agit d’une phase de ménorrhagie et d’affaiblissement général, qui l’obligea à suspendre ses occupations pendant six mois. Ces troubles, qui finirent par céder à une cure de repos chez elle suivie d’un séjour à la campagne, s’expliquent par une période de surmenage physique où elle dut travailler debout à son magasin encore plus que de coutume. Depuis lors elle n’a plus eu d’accroc dans sa santé.

Il est à noter que, pendant cette demi-année d’indisposition où elle suspendit ses séances spirites, la vie automatique prit spontanément chez elle un développement considérable sous forme de visions, de rêves éveillés, de demi-somnambulismes durant parfois une bonne partie de la journée. Cette véritable submersion de la conscience ordinaire sous le débordement des états hypnoïdes pourrait être attribuée précisément à la suppression des séances proprement dites, qui canalisent en quelque sorte les flots de l’imagination subliminale et leur servent d’exutoires ; mais il est encore plus simple d’y voir le résultat de l’adynamie générale d’Hélène à cette époque : son épuisement nerveux favorisait la désagrégation mentale et l’envahissement de la personnalité normale par les rêves subconscients.

On ne s’attend pas à ce que je fasse de Mlle Smith un portrait intellectuel et moral complet, qui risquerait de blesser sa modestie en tombant par hasard sous ses yeux. Je n’y relèverai que quelques points. L’un des plus saillants est sa grande dignité naturelle ; son maintien, son langage, ses manières sont toujours parfaitement comme il faut, et prennent volontiers un certain caractère de noblesse et de fierté qui cadre bien avec ses rôles somnambuliques. Il lui arrive de se montrer altière et souverainement hautaine à l’occasion. Elle est extrêmement impressionnable, et ressent avec intensité les moindres choses. Ses antipathies comme ses sympathies sont promptes, vives et tenaces. Elle a de l’énergie et de la persévérance. Elle sait très bien ce qu’elle veut, et rien ne passe inaperçu, ni ne s’efface de sa mémoire, de la conduite des autres gens à son endroit. « Je vois tout, rien ne m’échappe, et je pardonne, mais je n’oublie rien », m’a-t-elle souvent répété. Peut-être un moraliste sévère trouverait-il à reprendre en elle une certaine exagération de sensibilité personnelle, une tendance un peu bien accentuée à ruminer outre mesure sur les façons de penser ou d’agir d’autrui en ce qui la concerne de près ou de loin ; mais cette nuance d’autophilie est un trait trop commun de la nature humaine, et se comprend trop bien chez les médiums facilement exposés à se trouver sur la langue ou sous l’oeil du public, pour qu’il y ait lieu de lui en faire un reproche.

Elle est très intelligente et très bien douée. Dans la conversation elle se montre vive, enjouée, parfois mordante. Les problèmes psychiques et toutes les questions se rattachant aux phénomènes médiumiques, dont elle est elle-même un si bel exemple, la préoccupent beaucoup, et font le sujet principal de ses méditations solitaires et de ses entretiens avec les personnes qui s’y intéressent. Ses vues philosophiques ne manquent ni d’originalité ni de largeur. Elle ne tient pas au spiritisme proprement dit, et n’a jamais voulu, malgré les avances qui lui ont été faites, se rattacher comme membre à la Société d’études psychiques [spirites] de Genève, parce que, dit-elle, elle n’a pas d’idées arrêtées sur des sujets aussi obscurs, ne veut pas de théories toutes faites, et « ne travaille pour aucun parti ». Elle cherche, elle observe, elle réfléchit et discute, ayant adopté pour maxime « en tout, pour tout, toujours la Vérité ».

Il n’y a que deux points sur lesquels elle se montre intraitable : la réalité objective de Léopold, et le contenu supranormal de ses automatismes. Il ne faut pas lui aller dire que son grand protecteur invisible n’est qu’une apparence illusoire, une autre partie d’elle-même, un produit de son imagination subconsciente ; ni que les étrangetés de ses communications médiumiques, le sanscrit, les signatures reconnaissables de décédés, les mille révélations exactes sur des faits inconnus d’elle, ne sont que de vieux souvenirs oubliés de choses qu’elle aurait vues ou entendues dans son enfance. De telles suppositions, contraires à ses évidences intimes et par conséquent fausses en fait pour ne pas dire absurdes en soi, l’irritent facilement comme un défi au bon sens et un outrage à la vérité. Mais hormis ces deux points, elle examinera et discutera de sang-froid toutes les hypothèses qu’on voudra. L’idée qu’elle serait la réincarnation de la princesse hindoue ou de Marie-Antoinette, que Léopold est vraiment Cagliostro, que les visions dites martiennes sont bien de Mars, etc., tout en lui paraissant assez conforme aux faits, ne lui est pas indispensable, et elle serait prête à se rallier, s’il le fallait, à d’autres opinions : la télépathie, des mélanges d’influences occultes, une mystérieuse rencontre, en elle, d’intuitions venant de quelque sphère supérieure à la réalité, etc. Sans doute la supposition de ses préexistences dans l’Inde et sur le trône de France lui semble expliquer d’une façon plausible le sentiment, qui l’a poursuivie dès l’enfance, d’appartenir à un monde plus relevé que celui où le hasard de la naissance l’a emprisonnée pour cette vie ; mais elle n’affirme pourtant point ce brillant passé, n’en est pas très convaincue, et reste dans une sage expectative à l’endroit de ces mystères ultimes de son existence.

Il y a un autre sujet encore qui lui tient au coeur. Elle a entendu dire qu’aux yeux des savants et des médecins, les médiums passent facilement pour des fous, des hystériques, des détraqués, en tout cas des êtres anormaux dans le mauvais sens du mot. Or, au nom de son expérience de toute sa vie et de chaque jour, elle proteste énergiquement contre cette odieuse insinuation. Elle déclare bien haut qu’elle est parfaitement « saine de corps et d’esprit, nullement déséquilibrée », et repousse avec indignation l’idée qu’il pourrait y avoir une anomalie fâcheuse ou le moindre danger dans la médiumité telle qu’elle la pratique. « Je suis loin d’être un être anormal, m’écrivait-elle récemment encore, je n’ai jamais été aussi clairvoyante, aussi lucide, aussi apte à juger de tout et à vol d’oiseau, que depuis que l’on a cherché à me développer comme médium. » - Léopold, à son tour, parlant par sa bouche pendant ses trances, lui a plus d’une fois rendu solennellement le même témoignage de parfaite santé. Il est également revenu sur ce sujet par lettre, et l’on trouvera plus loin un très intéressant certificat d’équilibre qu’il a lui-même dicté à Hélène, et lui a fait écrire en partie de sa main à lui, comme pour donner plus de poids encore à ses déclarations (voir plus loin, fig. 8).

Il est incontestable qu’Hélène a une tête extrêmement bien organisée, et qu’au point de vue des affaires, par exemple, elle mène admirablement le rayon très important et compliqué qui se trouve sous sa direction dans la maison de commerce où elle est employée. Et l’accuser d’être une malade simplement parce qu’elle est médium, comme des âmes charitables (le monde en est plein) n’ont pas manqué de le faire quelquefois, constitue à tout le moins une pétition de principe inadmissible, tant que l’essence même de la médiumité reste chose aussi obscure et sujette à discussion qu’elle l’a été jusqu’ici.

Si l’on s’étonne de la place que cette peur de passer pour malade ou anormale tient dans les préoccupations de Mlle Smith et de son guide, il faut dire à sa décharge - et à celle des médecins et des savants incriminés - que la faute en est aux racontars, aux potins, aux propos en l’air de tout genre dont le public ignorant empoisonne à plaisir l’existence des médiums et de ceux qui les étudient. Il est clair qu’il se rencontre dans les rangs de la docte Faculté ou des Corps scientifiques constitués, comme en toute compagnie un peu nombreuse, certains esprits étroits et bornés, très forts peut-être dans leur spécialité, mais prêts à jeter l’anathème sur ce qui ne cadre pas avec leurs idées toutes faites, et prompts à traiter de maladif, de pathologique, de folie, tout ce qui s’écarte du type normal de la nature humaine tel qu’ils l’ont conçu sur le modèle de leur petite personnalité. C’est naturellement le verdict défavorable, mais plein d’assurance, de ces médecins à oeillères et de ces prétendus savants qui se colporte de préférence et qui vient rebattre les oreilles intéressées. Quant au jugement réservé et prudent de ceux qui n’aiment point à se prononcer à la légère et ne se pressent pas de trancher des questions dont la solution est encore impossible à l’heure présente, il va sans dire qu’il ne compte pour rien, car il faut à la masse des conclusions nettes et décidées. « Vous n’osez pas affirmer que la médiumité est une chose bonne, saine, normale, enviable, qu’il faut développer ou cultiver partout où on le peut, et que les médiums nous mettent en relation avec un monde invisible supérieur ? Mais c’est donc que vous tenez cette disposition pour funeste, malsaine, morbide, détestable, digne d’être extirpée ou anéantie partout où elle fait mine de se montrer, et que vous regardez tous les médiums comme des détraqués ! » Voilà la logique imperturbable du vulgaire, le dilemme taillé à coups de hache dans lequel le milieu ambiant, spirite et non spirite, s’amuse parfois à m’enfermer et qu’il ne cesse de faire résonner aux oreilles de M" Smith. On conviendra que cela explique et justifie amplement qu’elle se préoccupe parfois de ce que l’on dit et pense de sa santé, et que Léopold lui-même croie devoir s’en mêler.

Si la raison, qui est toujours complexe et faite de nuances comme la nature réelle des choses, pouvait quoi que ce soit contre cette logique à l’emporte-pièce et ce dilemme de grand inquisiteur, je répondrais par diverses considérations dont voici les deux principales.

D’abord, même quand il serait démontré que la médiumité est un fait pathologique, une disposition maladive, une forme de l’hystérie, une cousine germaine de la folie, cela ne voudrait point dire que les médiums méritassent moins d’estime, de considération et d’égards, ni qu’ils fussent moins capables de remplir leur rôle dans la société que la grande armée des gens soi-disant normaux. Bien au contraire. Car enfin respecte-t-on moins les grands hommes, et sont-ils devenus une superfluité pour l’évolution de notre race, depuis qu’on a fait du génie une névrose et que M. Lombroso trouve des symptômes épileptoïdes chez tous ceux qui ont marqué dans l’histoire de la pensée ? L’essentiel pour juger de la valeur proprement humaine d’un individu, et de sa vraie place dans l’échelle sociale, n’est pas de savoir s’il est bien ou mal portant, bâti comme tout le monde ou plein d’anomalies, mais s’il est à la hauteur de sa tâche spéciale, comment il s’acquitte des fonctions qui lui sont dévolues, et ce que l’on peut attendre et espérer de lui. On juge l’arbre à son fruit ; or la médiumité pourrait en avoir d’excellents. Dans le cas particulier, je ne sache pas que les facultés psychiques de Mlle Smith aient jamais nui à l’accomplissement d’aucun de ses devoirs ; elles l’y ont bien plutôt aidée, car son activité normale et consciente a maintes fois trouvé un secours inattendu et un appoint d’importance, qui manquent à ses compagnes non médiums, dans ses inspirations subliminales et les ressources de ses automatismes téléologiques.

En second lieu, il est loin d’être démontré que la médiumité soit un phénomène pathologique. Anormal dans le sens de rare, exceptionnel, éloigné de la moyenne, il l’est assurément ; mais c’est autre chose que la morbidité. Il y a trop peu de temps, quelques années à peine, qu’on a inauguré l’investigation sérieuse et scientifique des phénomènes dits médianimiques, pour qu’on puisse encore se prononcer sur leur nature véritable. Autant d’observateurs, autant d’avis différents, ou à peu près. Il est cependant intéressant de constater que dans les pays où ces études ont été poussées le plus loin, en Angleterre et en Amérique, le courant dominant chez les savants qui ont le mieux approfondi le sujet n’est point du tout défavorable à la médiumité, et que, loin d’en faire un cas particulier de l’hystérie, ils y voient au contraire une faculté supérieure, avantageuse, saine, dont l’hystérie serait une forme de dégénérescence, une contrefaçon pathologique, une caricature morbide. La seule conclusion à tirer de l’ensemble des faits bien observés jusqu’ici, c’est... que l’on n’en peut point tirer de générale, et que chaque cas particulier où se montrent des facultés
automatiques un peu développées doit être examiné pour lui-même. Or je répète que dans celui de Mlle Smith, tout bien évalué, le compte de profits et pertes de sa médiumité me paraît soldé par un boni qui n’est point négligeable.

En résumé, le jugement que Mlle Smith porte dans son état ordinaire sur ses phénomènes automatiques est tout à fait optimiste, et rien ne prouve qu’elle ait tort. Elle regarde sa médiumité comme un rare et précieux privilège que pour rien au monde elle ne consentirait à perdre. Certes elle y voit une épreuve aussi, à cause des jugements malveillants et injustes, des jalousies, des basses suspicions dont la foule ignorante et envieuse abreuva de tout temps ceux qui s’élèvent au-dessus d’elle par des facultés de ce genre. Mais, au total, les ennuis sont largement balancés par les bénéfices d’un ordre supérieur, et les satisfactions intimes, attachés à la possession d’un tel don [2]. Sans parler des séances, qui, malgré tout ce que lui en dérobent ses sommeils suivis d’amnésie, sont pourtant une source de divertissement et un puissant intérêt intellectuel dans sa vie [3], ses automatismes spontanés l’ont souvent secondée, sans jamais l’entraver notablement dans ses occupations. Il y a en effet, fort heureusement pour elle, une grande différence d’intensité entre les phénomènes des séances et ceux qui font irruption dans son existence habituelle, ces derniers n’allant jamais jusqu’à un bouleversement aussi profond de sa personnalité que les premiers.

Dans sa vie de tous les jours, elle n’a que des hallucinations passagères et limitées à un ou deux sens, des hémisomnambulismes superficiels et compatibles avec un degré suffisant de possession de soi, en somme des perturbations éphémères et sans gravité au point de vue pratique de ses fonctions sensorielles, intellectuelles ou motrices, en sorte que son activité quotidienne n’a pas eu à en souffrir sérieusement. Les fâcheuses aventures de la condition seconde ou de l’automatisme ambulatoire lui ont toujours été épargnées, et elle n’a jamais eu de crises ou attaques capables d’interrompre son travail et d’attirer sur elle d’une manière pénible l’attention de son entourage. Tout compte fait, les interventions du subliminal dans son existence ordinaire lui sont plus profitables que nuisibles, car elles portent très souvent un cachet d’utilité et d’à-propos qui lui rend de grands services. Phénomènes d’hypermnésie, divinations, objets égarés retrouvés mystérieusement, heureuses inspirations, pressentiments exacts, intuitions justes, automatismes téléologiques de tout genre en un mot, elle possède à un haut degré cette petite monnaie du génie, qui constitue une compensation plus que suffisante des inconvénients résultant de la distraction et des moments d’absence, passant d’ailleurs le plus souvent inaperçus, qui accompagnent ses visions.

Dans les séances, au contraire, elle présente les plus graves altérations fonctionnelles qu’on puisse imaginer, et passe par des accès de léthargie, catalepsie, somnambulisme, changement total de personnalité, etc., dont le moindre serait une bien désagréable aventure pour elle s’il venait à se produire dans la rue ou à son bureau. Cette éventualité n’est heureusement pas à redouter, car on sait combien cette énorme disproportion entre l’intensité des phénomènes spontanés et celle des phénomènes provoqués par les réunions spirites est un fait général chez les médiums. Ce fait rappelle ce qui se passe chez tous les « bons sujets » hypnotisables, et cela montre assez que l’autohypnotisation du médium qui entre en séance équivaut absolument à l’hétérohypnotisation d’une personne suggestible quelconque. Mais ceci m’amène à laisser maintenant l’état ordinaire d’Hélène pour aborder l’étude de ses automatismes.

III. PHÉNOMÈNES AUTOMATIQUES SPONTANÉS

Les automatismes dont est parsemée la vie de Mlle Smith en dehors des séances, ceux du moins qu’elle se rappelle et raconte, sont d’une fréquence très variable et indépendante de toute circonstance connue : il s’en présente quelquefois plusieurs en un jour, comme il lui arrive de passer deux ou trois semaines sans en avoir aucun. Extrêmement divers dans leur forme et leur contenu, ces phénomènes peuvent se répartir en trois catégories quant à leur origine. Les uns proviennent d’impressions reçues par Hélène dans des moments de suggestibilité spéciale. D’autres sont l’apparition fortuite, au-dessus du niveau ordinaire de sa conscience, des romans en train de s’élaborer au-dessous. Les derniers enfin - qui diffèrent des deux espèces précédentes, toujours inutiles si ce n’est gênantes, par leur caractère avantageux et leur adaptation aux besoins du moment - relèvent de l’automatisme téléologique que j’ai déjà signalé dans la jeunesse d’Hélène et qui a participé à la recrudescence générale de sa vie subconsciente sous le coup de fouet des expériences spirites. Passons rapidement ces divers cas en revue.

I. Permanence de suggestions extérieures.

Ce sont naturellement les réunions spirites qui en sont la principale source. Non pas que Mlle Smith y soit traitée en sujet à expériences de suggestion posthypnotique ; je crois que tous ceux qui ont pris part à ses séances peuvent se rendre cette justice qu’ils n’ont jamais abusé de la suggestion qu’elle présente à ce moment-là, comme la plupart des médiums en fonction, pour lui insinuer des images de nature à la troubler les jours suivants ; tout au plus, par manière d’essais inoffensifs, lui a-t-on parfois suggéré quelques petites choses à exécuter peu d’instants après le réveil [4]. Point n’est besoin de suggestions intentionnelles pour l’influencer d’une façon durable ; bien qu’on évite autant que possible tout ce qui pourrait lui laisser des traces désagréables, et qu’on lui suggère avant la fin de la séance de n’avoir, le lendemain, ni lourdeur de tête consécutive, ni fatigue, etc., il arrive que des incidents quelconques, souvent absolument insignifiants, restent gravés dans sa mémoire de la façon la plus imprévue et l’assaillent comme d’inexplicables obsessions pendant la semaine suivante. Voici quelques spécimens de ces suggestions involontaires qui durent généralement trois à quatre jours, mais peuvent aller jusqu’à douze ou quinze.

Hélène me raconte un dimanche que pendant toute la semaine elle a été obsédée plusieurs fois par jour par l’image hallucinatoire d’un chapeau de paille, se présentant par l’intérieur, situé verticalement en l’air à 1 ou 1 1/2 mètre devant elle, sans être tenu par personne. Elle a le sentiment que ce chapeau doit m’appartenir, et le reconnaît, en effet, lorsque je vais lui chercher le mien. Il me revient alors à la mémoire qu’à la séance du dimanche précédent il m’est arrivé par hasard et pour la première fois de l’éventer pendant son sommeil final avec ledit chapeau, dont l’image se sera gravée en elle dans l’un de ces éclairs où elle entrouvre les paupières et les referme instantanément avant l’éveil définitif. Cette obsession, dit-elle, a été surtout forte le lundi et la première moitié de la semaine, puis a beaucoup diminué ces derniers jours.

Une autre fois, elle a conservé pendant toute une semaine la sensation de la pression de mon pouce sur son arcade sourcilière gauche. (La compression des nerfs frontaux externes et sous-orbitaires, à la sortie de leurs trous respectifs, est un procédé que j’emploie souvent pour hâter le réveil, d’après une indication donnée par Léopold lui-même.)

Il lui est arrivé d’avoir deux fois dans la même journée l’hallucination auditive et visuelle d’un personnage âgé qu’elle ne reconnaît pas, mais dont le signalement extrêmement caractéristique correspond si bien à un monsieur de Genève, dont on lui a parlé peu de jours auparavant, immédiatement avant le début d’une séance (donc probablement déjà dans son état de suggestibilité), qu’il n’est guère douteux que ces apparitions ne soient la conséquence de cette conversation.

À la suite d’une autre séance où elle eut, au début d’une scène hindoue, l’hallucination d’un bracelet qu’elle faisait de vains efforts pour arracher de son poignet gauche, elle conserva pendant trois jours la sensation de quelque chose qui lui serrait ce poignet, sans comprendre ce que cela pouvait bien être.

De même, des sentiments divers de tristesse, colère, fou rire, envie de pleurer, etc., dont elle ne pouvait s’expliquer la cause, l’ont parfois poursuivie plus ou moins longtemps à la suite de séances dont ces sentiments étaient l’écho émotionnel manifeste. C’est l’effet si fréquent des rêves sur l’état de veille : les premiers s’oublient, mais leur influence (ou leur concomitant affectif) subsiste, parfois plus marquée quand il s’agit de rêves de l’hypnose ou du somnambulisme que de ceux du sommeil ordinaire.

Les séances ne sont pas la source exclusive de ces suggestions involontaires qui viennent troubler la vie quotidienne de Mlle Smith sans aucun profit pour elle. Il est évident qu’en toute occasion où elle se trouvera dans cette disposition particulière de moindre résistance que notre ignorance de sa nature intrinsèque désigne par le nom commode de « suggestibilité », elle sera exposée à recevoir du milieu des impressions capables de revenir l’assaillir ensuite au cours de ses occupations. Il ne semble heureusement pas que la suggestibilité se développe facilement en elle en dehors des réunions spirites, qui en sont la véritable serre chaude, et pour trouver un exemple typique d’obsession ramassée pour ainsi dire dans la rue, loin de toute séance, je dois l’emprunter à la période exceptionnelle de psychasthénie dont j’ai parlé, p. 55.

Au milieu de juin 1896, comme Hélène, sur le point d’aller faire un séjour de repos à la campagne, visitait l’Exposition nationale à Genève, en compagnie d’une famille amie, la vue du ballon captif prêt à partir avec ses passagers se grava avec une telle intensité en elle, à la suite d’une parole imprudente qui lui donna pendant quelques instants l’idée d’y monter â son tour, que pendant plus de six semaines cette image revint, chaque jour à la même heure, accaparer son attention et s’imposer à elle avec la vivacité de la perception première.

Voici comment elle me raconta la chose dans une lettre du 29 juillet :

La veille de mon départ, nous sommes allés, la famille X. et moi, visiter l’exposition et, tout en regardant le ballon s’élever, Mme X. me faisait cette réflexion : J’aimerais tant vous voir faire une ascension en ballon afin que vous nous disiez l’impression que vous ressentirez en vous élevant dans les airs [5] ! Je lui ai répondu que je ne craindrais pas du tout de faire cette ascension, qu’au contraire cela me ferait même plaisir. Nous en sommes restées là et n’en avons pas reparlé le reste de la journée. Mais pensez que, depuis cet instant, je ne manque pas de voir tous les jours, contre les cinq heures de l’après-midi, le ballon se balançant devant moi et toujours à la même place, la nacelle ne contenant jamais plus de six personnes. J’avais oublié de vous raconter cette chose, et c’est parce qu’il est cinq heures et que j’ai le ballon devant les yeux que je pense à le faire.

C’est très curieux ; surtout que quand que ce soit, n’importe où je me trouve, et chaque jour sans exception, je me trouve forcée de lever la tête pour regarder ce ballon dont je distingue les plus petits cordages, étant donné qu’il ne me fait pas l’effet d’être éloigné de moi de plus d’une vingtaine de mètres. Aujourd’hui, cependant, et hier déjà, tout en le sentant à la même distance que d’habitude, je le vois moins distinctement ; on dirait qu’on l’a couvert d’un voile et dans ce moment même il commence à s’effacer lentement. [Suivent dix lignes sur un autre sujet.] Le ballon a tout à fait disparu et je ne l’aperçois plus.

D’après les explications orales d’Hélène, cette hallucination à point de repère (attachée au sentiment de l’heure ou du moment de la journée), dont elle évalue la durée à une dizaine de minutes, l’absorbait dans les premières semaines au point de la rendre absente de la conversation pendant ce temps, et débutait par des sensations générales et motrices : avant d’avoir l’apparition visuelle du ballon, elle sentait sa présence dans une certaine direction et était instinctivement forcée de se tourner de ce côté-là pour le contempler. L’intensité de cet automatisme diminua peu à peu, et l’on voit qu’à la fin de juillet elle pouvait continuer à m’écrire pendant sa présence.

Ce petit exemple montre combien, chez une personne affaiblie et suggestible, le moindre sentiment subitement provoqué, ici la curiosité et le désir, peut fixer en une obsession plus ou moins consciente l’idée ou la perception à laquelle ce sentiment se rattache. On reconnaît là l’influence des chocs émotionnels sur la désintégration mentale, le développement des états hypnoïdes et la naissance des automatismes.

2. Irruptions des rêveries subliminales.

J’aurai trop d’occasions de citer des exemples concrets de visions, voix et autres jaillissements spontanés du travail d’imagination qui se poursuit sous la conscience ordinaire de Mlle Smith pour m’y arrêter longtemps ici. Quelques remarques générales suffiront.

Le rapport que ces phénomènes imprévus entretiennent avec ceux des séances elles-mêmes est très divers. Tantôt on y reconnaît des reproductions plus ou moins incomplètes d’épisodes qui ont déjà paru dans les séances précédentes, en sorte qu’on y peut voir de simples échos ou récidives posthypnotiques de ces dernières. Tantôt il semble, au contraire, qu’on ait affaire à des sortes d’ébauches ou de répétitions préparatoires de scènes qui se dérouleront plus au long et se continueront dans quelque séance ultérieure. Tantôt enfin il s’agit de tableaux ne faisant aucun double emploi avec ceux remplissant les séances ; ce sont comme des pages, envolées pour ne plus revenir, des romans qui se fabriquent ou se feuillettent sans cesse dans les couches profondes de Mlle Smith.

Ce dernier cas paraît être le plus fréquent, et le décousu qui subsiste dans ses divers cycles lorsque nous essayons de les reconstituer par la réunion des séances et des automatismes spontanés provient sans doute de ce que ceux-ci sont loin de nous être tous connus, beaucoup s’ensevelissant à mesure dans le linceul de l’amnésie ; de là des lacunes irréparables. Hélène ne se souvient pas longtemps, en effet, ni en bien grand détail, à part quelques exceptions, de ces visions qui la surprennent dans son état ordinaire, le plus souvent de bonne heure le matin, alors qu’elle est encore au lit ou levée depuis peu et travaillant à la lampe, quelquefois le soir ou pendant les courts instants de sieste au milieu du jour, beaucoup plus rarement en pleine activité de veille à son bureau. Si elle n’avait depuis longtemps, à ma demande et avec une grande bonne volonté, pris l’habitude de noter au crayon le contenu essentiel de ces apparitions, soit pendant l’apparition elle-même (ce qui ne lui est pas toujours possible), soit immédiatement après, nous aurions à déplorer bien plus de déficits encore dans la trame de ses romans.

L’état psychologique d’Hélène, pendant ses visions spontanées, ne m’est connu que par ses propres descriptions, puisque, quand elle en a en ma présence, on peut admettre qu’involontairement il y a eu plus ou moins attente de sa part ou provocation de la mienne, ce qui par définition rentre dans le cas des séances dont nous parlerons plus loin. Elle est heureusement observatrice très intelligente et assez fine psychologue.

Ses récits montrent que ses visions sont accompagnées d’un certain degré d’obnubilation. Pendant quelques instants, par exemple, la chambre, la clarté même de la lampe disparaissent à ses yeux, le roulement des chars dans la rue s’évanouit ; elle se sent comme inerte et passive, souvent avec une nuance de béatitude et de bien-être extatique, devant le spectacle qui s’offre à elle ; puis ce spectacle s’efface à son grand regret, la lampe et les meubles reparaissent, les bruits extérieurs recommencent, et elle s’étonne de n’avoir pas eu l’idée d’écrire sur-le-champ avec le crayon qui était pourtant à sa portée les mots étranges qu’elle entendait, ni même de toucher, de caresser, par exemple, ces beaux oiseaux au plumage multicolore posés et chantant devant elle. Il lui arrive bien parfois de conserver assez de présence d’esprit et de spontanéité pour griffonner sous dictée les paroles frappant son oreille ; mais son écriture toute déformée et de travers prouve assez que son regard absorbé par l’apparition ne pouvait suivre le crayon, et que la main le dirigeait fort mal. D’autres fois encore c’est l’inverse : il lui semble au cours de la vision qu’on s’empare de son bras et qu’on s’en sert malgré elle ; il en résulte alors de magnifiques calligraphies, toutes différentes de son écriture à elle, et pendant l’exécution desquelles elle était totalement absente, si l’on en juge par la surprise qu’elle raconte avoir éprouvée en se retrouvant devant ces textes étrangers écrits à son insu, et par les scènes analogues qui se passent aux séances.

Ce qui précède s’applique surtout aux cas les plus fréquents, c’est-à-dire à ces visions matinales ou vespérales qui lui arrivent à la maison, dans cette phase intermédiaire entre la veille et le sommeil, toujours si favorable comme l’on sait à l’éclosion des produits de la cérébration subconsciente. Mais il y a d’innombrables nuances et gradations entre ce type moyen, pour ainsi dire, et les extrêmes opposés d’une part, le cas heureusement très exceptionnel où elle est prise d’extase à son bureau et, d’autre part, celui où l’automatisme se borne à glisser quelques caractères inconnus ou des mots d’une autre main que la sienne dans sa correspondance et ses écritures, singuliers lapsus calami dont elle ne tarde pas à s’apercevoir en se relisant. Voici un exemple d’extase.

Étant un jour montée à l’étage supérieur pour chercher quelque chose dans une salle de débarras assez obscure, elle y eut l’apparition d’un homme en turban et en grand manteau blanc, qu’elle avait l’impression de reconnaître [6], et dont la présence la remplit d’un calme délicieux et d’une profonde félicité. Elle ne put se rappeler la conversation qu’il y eut entre eux, dans une langue inconnue qu’elle avait cependant le sentiment d’avoir parfaitement comprise. Au départ du mystérieux visiteur, elle fut navrée de se retrouver dans la sombre réalité, et stupéfaite de constater à sa montre que leur entretien avait duré beaucoup plus longtemps qu’il ne lui semblait. Elle conserva toute la journée une délicieuse et bienfaisante impression de cette étrange apparition.

Quant à l’immixtion d’écritures étrangères au milieu de la sienne, elle est relativement fréquente et on en verra divers spécimens dans les chapitres suivants à propos des romans spéciaux auxquels ce phénomène se rattache. Je n’en donnerai ici qu’un exemple complexe, qui servira en même temps d’illustration pour un genre spécial d’automatisme, très inoffensif, auquel Hélène est également sujette, et qui consiste à faire des vers, non point sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose, mais du moins sans le vouloir et à propos des plus vulgaires incidents. Il y a des temps, en effet, où elle se sent malgré elle poussée à parler en distiques rimés de huit pieds, qu’elle ne prépare point et dont elle ne s’aperçoit qu’au moment où elle a fini de les prononcer [7]. Dans le cas particulier, c’est exceptionnellement par un quatrain qu’elle répondit à quelqu’un qui la consultait sur des rubans de couleur bleue. Or ce quatrain, par son allure, par la vision d’une blonde tête d’enfant qui l’accompagna, et par la façon dont elle l’écrivit aussitôt après, laisse deviner une inspiration dépendant du cycle royal sous-jacent ; tandis que dans la lettre suivante, où elle raconta la chose à M. Lemaître, sa plume glissa à son insu des caractères étrangers évidemment dus à l’affleurement du cycle martien dont elle vient de parler dans ladite lettre (voir fig. 1 un passage de cette lettre renfermant un v et un m martiens dans les mots vers et rimait).

FIGURE 1
Fragment d’une lettre (écriture normale) de Mlle Smith, renfermant deux caractères martiens. [Collection de M. Lemaître.]

J’ai entendu des paroles martiennes cette après-midi, mais n’ai jamais pu les retenir. Je vous envoie celles entendues il y a bien quelques jours déjà, alors que j’ai eu la vision dont je viens de vous faire le dessin [lampe martienne]. Hier matin dans la matinée j’ai de nouveau parlé en vers sans m’en douter ; ce n’est qu’en finissant ma phrase que j’ai senti qu’elle rimait et que je l’ai reconstituée pour bien m’en assurer. Un peu plus tard, en examinant des rubans, je me mis de nouveau à parler en vers et je vous les joins également, ils vous divertiront. Chose curieuse, j’eus à ce moment même la vision d’une tête d’enfant blonde et toute bouclée ; les cheveux étaient entourés d’un ruban bleu ; la vision dura tout au plus une minute. Ce qu’il y a de plus curieux encore, c’est que je ne me souviens pas du tout d’avoir porté des rubans de cette nuance étant enfant ; des roses, des rouges, oui je m’en souviens, mais des bleus alors cela non, je n’en ai aucun souvenir. Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai prononcé ces paroles, c’est des plus amusant ; j’ai dû, je vous assure, les prononcer bien malgré moi. Je me suis empressée de les inscrire sur un papier, et j’ai constaté, en écrivant déjà, que par moment l’écriture n’était pas régulière, c’est-à-dire qu’elle changeait un peu de la mienne.

Voici ce quatrain, que son crayon trop pâle empêche de reproduire en cliché, et où j’indique en italiques les mots et syllabes dont la calligraphie ou l’orthographe diffèrent de celles d’Hélène et rentrent dans son écriture automatique dite de Marie-Antoinette :

Les nuances de ces rubans
Me rappellent mes jeunes ans ;
Ce bleu verdi, je m’en souvien.
Dans mes cheveux alloit si bien !

La tête aux blonds cheveux bouclés, ornés de rubans bleus, figure souvent dans les visions du cycle royal, et parait se rapporter tantôt comme ici à Marie-Antoinette elle-même, tantôt à l’un ou l’autre de ses enfants, spécialement au dauphin.

Bien qu’il soit le plus souvent aisé de rattacher ces fulgurations, projetées par le travail souterrain dans la conscience ordinaire, aux divers rêves dont elles émanent, ce n’est cependant pas toujours le cas et il y a des visions d’une origine ambiguë et douteuse. Il ne faut pas oublier qu’à côté des grands cycles d’Hélène, qui sont le mieux connus, il circule dans son imagination latente d’innombrables petits systèmes accessoires, plus ou moins indépendants, qui alimentent une bonne partie des séances, tels que les révélations d’événements anciens concernant les familles des assistants, etc. ; il n’est pas toujours possible d’identifier les fragments provenant de ces rêves isolés.

3. Automatismes téléologiques.

Les phénomènes spontanés de cette catégorie, ayant comme trait commun d’être d’une utilité plus ou moins marquée pour Hélène dans les circonstances de la vie pratique, peuvent se subdiviser en deux classes, suivant qu’ils se rattachent directement à la personnalité de Léopold ou qu’ils n’affichent aucune personnalité distincte et ne font qu’exprimer sous une forme vive le résultat du fonctionnement normal, quoique plus ou moins inconscient, des facultés de mémoire et de raisonnement. Je me borne à citer maintenant un cas de chacune de ces classes, dont on verra d’autres exemples dans les chapitres relatifs à Léopold et aux apparences supranormales.

Un jour Mlle Smith, voulant prendre un objet lourd et volumineux situé sur un rayon élevé, en fut empêchée parce que son bras levé resta comme pétrifié en l’air et incapable de mouvement pendant quelques secondes ; elle y vit un avertissement et renonça à l’acte projeté. Dans une séance ultérieure, Léopold raconta que c’était lui qui avait figé le bras d’Hélène pour l’empêcher de prendre cet objet qui était beaucoup trop pesant pour elle et lui aurait occasionné quelque accident.

Une autre fois, un commis, qui cherchait vainement un certain échantillon, demanda à Hélène si elle savait peut-être ce qu’il était devenu. Hélène répondit comme mécaniquement et sans réflexion : « Oui, il a été remis à M.J. [un client de la maison] » ; en même temps elle vit apparaître devant elle le nombre 18 en gros chiffres noirs de vingt à vingt-cinq centimètres de hauteur, et ajouta instinctivement : « Il y a dix-huit jours. » Cette indication fit rire le commis, qui releva l’impossibilité de la chose, la règle de la maison étant que les clients auxquels de tels échantillons sont prêtés à l’examen doivent les rapporter dans les trois jours, sinon on les leur fait reprendre. Hélène, frappée de cette objection et n’ayant aucun souvenir conscient relatif à cette affaire, répondit : « En effet, peut-être que je fais erreur. » Cependant, en se reportant à la date indiquée sur le registre de sortie, on constata qu’elle avait pleinement raison ; c’était par suite de diverses négligences où elle n’était pour rien que cet échantillon n’avait encore été ni rapporté ni réclamé. - Léopold interrogé n’a aucun souvenir et ne paraît pas être l’auteur de cet automatisme cryptomnésique, non plus que de beaucoup d’autres analogues par lesquels la mémoire subconsciente d’Hélène lui rend des services signalés et lui a valu une certaine réputation bien méritée de devineresse.

On voit que si les automatismes spontanés de Mlle Smith sont souvent le résultat fâcheux de ses moments de suggestibilité, ou l’irruption intempestive de ses rêveries subliminales, ils revêtent quelquefois et même souvent la forme de messages utiles. Cette compensation n’est point à dédaigner.

IV. DES SÉANCES

Mlle Smith n’a jamais été hypnotisée ou magnétisée. Dans son aversion instinctive, qu’elle partage avec la plupart des médiums, pour tout ce qui lui apparaît comme une expérience entreprise sur elle, elle s’est toujours refusée à se laisser endormir. Elle ne se rend pas compte qu’en évitant le mot elle accepte la chose, car ses exercices spirites constituent en réalité pour elle une autohypnotisation qui dégénère inévitablement en hétérohypnotisation par le fait qu’elle y subit l’influence spéciale de telle ou telle des personnes présentes.

Toutes ses séances ont, en effet, à peu près la même forme psychologique, le même déroulement à travers leur énorme diversité de contenu. Elle se met à la table avec l’idée et l’attente que ses facultés médiumiques vont entrer en jeu. Au bout d’un temps variant de quelques secondes à près d’une heure, en général d’autant plus court que la pièce est moins éclairée et les assistants plus silencieux, elle commence à avoir des visions, précédées et accompagnées de troubles très variables de la sensibilité et de la motilité, puis elle passe peu à peu à la trance complète. Dans cet état, il arrive rarement, et seulement pendant des moments de peu de durée, qu’elle soit entièrement étrangère aux personnes présentes, et comme enfermée dans son rêve personnel ou plongée en léthargie profonde (syncope hypnotique). Ordinairement elle reste en communication plus particulière avec l’un des assistants, qui se trouve alors vis-à-vis d’elle dans la même relation qu’un hypnotiseur vis-à-vis de son sujet et peut profiter de ce rapport électif pour lui donner toutes les suggestions immédiates ou à échéance qu’il voudra.

Lorsque la séance ne consiste qu’en visions éveillées, elle dure généralement peu de temps, une heure à une heure et demie, et se termine franchement par trois coups énergiques de la table, après lesquels Mlle Smith se retrouve dans son état normal qu’elle n’a d’ailleurs guère paru quitter. S’il y a eu somnambulisme complet, la séance se prolonge jusqu’au double et même davantage, et le retour à l’état normal se fait lentement à travers des phases de sommeil profond séparées par des récidives de gestes et attitudes somnambuliques, des moments de catalepsie, etc. Le réveil définitif est toujours précédé de plusieurs éveils très courts suivis de rechutes dans le sommeil.

Chacun de ces éveils préliminaires, ainsi que le définitif, s’accompagne du même jeu de physionomie caractéristique. Les yeux, fermés depuis longtemps, se sont largement ouverts, le regard hébété fixe le vide ou se promène lentement sur les objets et les assistants sans les voir, les pupilles dilatées ne réagissent pas, la figure est un masque impassible et rigide dénué d’expression. Hélène semble absolument absente. Tout à coup, avec un léger redressement du buste et de la tête et une brusque inspiration, un éclair d’intelligence illumine sa physionomie ; la bouche s’est gracieusement entrouverte, les paupières se sont animées et les yeux brillent, tout le visage rayonne d’un joyeux sourire et témoigne à l’évidence qu’elle vient de reconnaître son monde et de se retrouver elle-même. Mais, avec la même soudaineté qu’il est apparu, cet éclat de vie d’une à deux secondes à peine s’éteint de nouveau, la physionomie reprend son masque inerte, les yeux redevenus hagards et fixes ne tardent pas à se refermer et la tête à retomber sur le dossier du fauteuil. Ce retour de sommeil sera suivi bientôt d’un nouvel éveil instantané, puis parfois d’autres encore, jusqu’au réveil définitif, toujours marqué, après le sourire du début, par cette phrase stéréotypée : « Quelle heure est-il ? » et par un mouvement de surprise en apprenant qu’il est si tard. Aucun souvenir d’ailleurs de ce qui s’est passé pendant le somnambulisme, mais seulement des réminiscences assez complètes des visions à demi éveillées qui l’ont précédé.
Telle est la marche générale des séances.

À côté de ces séances proprement dites qu’on pourrait appeler les grandes séances, qui sont fixées plusieurs jours à l’avance et pour lesquelles Mlle Smith s’est rendue, à l’heure convenue, dans quelque salon ami, il y a aussi les « petites séances », qui sont improvisées et faites comme par raccroc à l’occasion d’une visite ou d’une réunion non préméditée, ou qu’Hélène s’accorde à elle-même et à ses parents soit dans une veine de pure curiosité, soit pour demander à Léopold un renseignement utile ou un conseil urgent. C’est encore ici le guéridon qui sert habituellement d’amorce et d’entraîneur, jusqu’à ce que les facultés médiumiques déclenchées se manifestent par des visions ou d’autres modes plus relevés que les coups frappés d’un meuble matériel. Ce recours à la table n’est cependant pas indispensable et, ces dernières années surtout, Mlle Smith use volontiers du procédé d’autohypnotisation le plus simple, qui consiste à rester tranquille et passive soit en prêtant l’oreille et laissant vaguer le regard dans l’espérance de quelque voix ou apparition, soit les paupières baissées en tenant un crayon pour obtenir de l’écriture automatique. Ces petites séances une fois en train se déroulent du reste comme les grandes, sauf qu’elles sont beaucoup plus courtes, leur contenu se bornant dans la règle à une seule communication, et le réveil, s’il y a eu somnambulisme complet, s’effectuant plus rapidement et sans autant d’alternances variées.

Une description complète des phénomènes psychologiques et physiologiques qui peuvent se présenter ou s’obtenir au cours des séances m’entraînerait trop loin, car il n’y a rien d’absolument constant ni dans la nature ni dans la succession de ces phénomènes, et il n’y a pas deux séances évoluant exactement de la même façon. Je dois me borner à quelques traits saillants.

Trois symptômes principaux, et à peu près contemporains, annoncent généralement que Mlle Smith commence à être prise et va entrer en vision.

Ce sont d’une part des modifications émotionnelles ou cénesthésiques dont la cause ne se révèle qu’un peu plus tard, dans les messages subséquents. Hélène est, par exemple, atteinte d’un fou rire invincible qu’elle ne peut ou ne veut pas expliquer ; ou bien elle se plaint de tristesse, de crainte, de malaises divers, de froid ou de chaud, de nausée, etc., suivant la nature des communications qui se préparent et dont ces états affectifs sont les signes avant-coureurs.

Ce sont, d’autre part, des phénomènes d’anesthésie systématique (hallucinations négatives) limitée aux membres de l’assistance auxquels se rapporteront les messages ultérieurs. Hélène cesse de les voir, tout en continuant à entendre leur voix et à sentir leur contact ; ou au contraire s’étonne de ne plus les entendre tout en les voyant encore remuer les lèvres, etc. ; ou, enfin, ne les perçoit plus d’aucune façon et demande pourquoi ils sont partis à peine la séance commencée. Dans les détails, cette anesthésie systématique varie à l’infini, et ne s’étend parfois qu’à une partie de la personne concernée, à sa main, à la moitié de sa figure, etc., sans qu’il soit toujours possible d’expliquer ces menus caprices par le contenu des visions suivantes ; il semble que l’incohérence du rêve préside à ce travail préliminaire de désagrégation, et que les perceptions normales soient maladroitement déchiquetées et absorbées par la personnalité sous-consciente avide de matériaux pour l’achèvement des hallucinations qu’elle prépare. L’anesthésie systématique se complique souvent d’hallucinations positives, et Hélène manifeste sa surprise de voir, par exemple, un costume étrange ou une coiffure insolite aux gens que tout à l’heure elle commençait à perdre de vue. C’est déjà la vision proprement dite qui s’installe.

Le troisième symptôme, qui ne se manifeste pas de lui-même mais que l’on constate souvent avant tous les autres lorsqu’on prend soin de le chercher, est une allochirie complète, ordinairement accompagnée de divers autres troubles sensibles et moteurs. Si, dès le début de la séance, on prie de temps en temps Hélène de lever, par exemple, la main droite, de remuer l’index gauche, ou de fermer tel oeil, elle commence par effectuer ponctuellement ces actes divers, puis tout à coup, sans qu’on sache pourquoi et sans hésitation, elle se met à se tromper régulièrement de côté, et lève la main gauche, remue l’index droit, ferme l’autre oeil, etc. C’est l’indice qu’elle n’est plus dans son état ordinaire, bien qu’elle y paraisse encore et discute avec la vivacité d’une personne normale à qui l’on soutiendrait qu’elle prend sa droite pour sa gauche et vice versa. II est à noter que Léopold - qui, une fois l’allochirie déclarée, ne tarde plus beaucoup à se manifester soit par la table, soit par les mouvements de tel ou tel doigt - ne partage pas cette erreur de côtés ; j’ai assisté à de curieuses querelles entre Hélène et lui : elle soutenant que telle main était sa droite, ou que l’île Rousseau est à gauche quand on passe le pont du Mont-Blanc en venant de la gare, et Léopold lui donnant carrément tort par les coups de la table.

Cette allochirie, qui porte non seulement sur les perceptions présentes, mais sur les souvenirs d’endroits comme dans l’exemple que je viens de citer, n’est pas le simple renversement d’un couple verbal, une inversion des mots droite et gauche qui seraient régulièrement pris l’un pour l’autre, par un phénomène de contraste exagéré, comme on voit des malades ou simplement des gens distraits dire demain pour hier, ou fermer pour ouvrir. C’est une allochirie réelle résultant d’une sorte de transfert réciproque des perceptions symétriques elles-mêmes, d’un chassé-croisé des divers signes locaux affectifs, tactiles ou kinesthésiques, auxquels restent attachées les étiquettes verbales droite et gauche [8]. Car, si, derrière un écran et sans rien dire, on pique, pince, remue un des doigts d’Hélène, c’est le doigt correspondant de l’autre main qu’elle agite en y localisant ces diverses impressions, et qui se met souvent à répéter automatiquement tous les mouvements qu’on communique passivement au premier (syncinésie). L’allochirie simple (impossibilité de rapporter les sensations à l’un des côtés du corps plutôt qu’à l’autre) est plus rare chez Hélène, et paraît être une transition assez courte entre l’état normal et l’allochirie complète, en sorte qu’on n’a pas souvent la chance de tomber précisément sur cet instant-là ; il lui arrive, par exemple, de sentir qu’on lui touche ou lui secoue la main, sans pouvoir dire laquelle, puis au bout d’un petit moment de réflexion elle se décide, mais à faux. Elle a souvent présenté de l’allochirie de l’ouïe, tournant la tête et même dirigeant ses pas du côté opposé à celui d’où on l’interpellait. - Sans qu’on l’ait cherchée, l’allochirie éclate quelquefois d’elle-même dans certains incidents ; j’ai par exemple vu Hélène, voulant tirer son mouchoir au commencement d’une séance, s’obstiner vainement à chercher sa poche du côté gauche alors qu’elle l’avait à droite comme toujours.

Habituelle chez Hélène quand elle est en séance, l’allochirie n’est cependant pas absolument constante. Il y a eu des réunions où je n’ai pas réussi à la constater sans qu’il y eût des raisons apparentes auxquelles attribuer cette exception. Cette absence de fixité montre bien la part de l’autosuggestion dans les désordres fonctionnels accompagnant l’exercice de la médiumité ; il est même possible qu’ils soient tous, ou peu s’en faut, d’origine purement suggestive. Assurément, la désagrégation même qui permet le développement des états hypnoïdes aux séances est un phénomène spontané, naturel, découlant de la constitution individuelle du sujet, mais le type spécial qu’elle revêt et les formes dans lesquelles elle se moule peuvent fort bien dépendre du hasard des circonstances ambiantes lors de ses premières apparitions.

Il me semble cependant probable que dans le cas de Mlle Smith l’allochirie préexistait aux petites expériences que j’entrepris pour la première fois sur ses mains, le 20 janvier 1895, sans m’attendre ni même songer aucunement à ce phénomène particulier. Je soulevai par curiosité sa main droite, qui m’offrit une grande résistance et me parut anesthésique, tandis que je trouvai la gauche sensible et souple ; ayant fortement pincé la peau de l’annulaire droit entre mes ongles, Hélène n’accusa aucune impression, mais pendant le quart d’heure qui suivit elle s’interrompit à diverses reprises au cours d’une vision pour regarder sa main gauche en se plaignant d’y éprouver une vive douleur, comme si on y avait enfoncé une épingle, et n’en comprenant pas la cause, elle la demanda, sur mon conseil, à la table (Léopold) qui répondit par épellation : C’est que l’on ta fortement pincé le doigt. Plus tard, comme je tâtai de nouveau sa main droite à peu près insensible, la gauche, ballante sur le dossier de la chaise, se mit à produire les positions et mouvements que je communiquais à la droite, au grand étonnement d’Hélène, qui regardait et sentait ces contorsions involontaires de sa main gauche sans éprouver autre chose qu’une vague impression de chaleur dans l’autre main que je triturais. Dans cette première séance, l’allochirie semble être authentique et sous la dépendance de troubles de la sensibilité et du mouvement ; mais dans beaucoup de séances ultérieures, où on la voit apparaître avant toute trace d’aucun de ces autres troubles, il se peut qu’elle soit involontairement suggérée par les questions mêmes ou les essais que l’on fait pour constater sa présence. Quoi qu’il en soit, résultat de l’hypoesthésie commençante ou d’une pure suggestion, son apparition à un moment donné plus ou moins rapproché du début de la séance est toujours une marque certaine que l’état normal d’Hélène vient de faire place à l’état de suggestibilité et de perturbation des centres nerveux favorables au développement des visions.

Peu après l’allochirie, et parfois en même temps qu’elle, on constate divers autres phénomènes extrêmement variables, dont je ne cite que quelques-uns. L’un des bras, par exemple, est contracturé sur la table et résiste comme une barre de fer aux efforts des assistants pour le soulever ; les doigts de la main tantôt participent à cette rigidité, tantôt y échappent et conservent leur mobilité active ou passive. Parfois cette contracture ne préexiste pas, mais s’établit visiblement à l’instant même où l’on touche l’avant-bras et s’accroît proportionnellement aux efforts que l’on fait pour la vaincre ; ces essais eux-mêmes sont ressentis par Hélène, quelques secondes ou minutes plus tard, dans l’autre bras sensible et mobile, où elle se plaint de fatigue et de douleur. Une de ses mains, entièrement anesthésique, lui étant cachée par un écran, si on la pique simultanément en deux, trois, quatre points, ou qu’on y trace, par exemple, un M ou un H, ou qu’on lui pince l’index ou un autre doigt, et qu’en même temps on la prie de penser et de nommer au hasard un chiffre quelconque, ou une lettre de l’alphabet, ou un de ses doigts, sa réponse correspond toujours exactement à l’impression qu’on vient de communiquer à sa main insensible. C’est l’expérience bien connue de M. Binet, qui montre que des perceptions restées inconscientes évoquent cependant les images ou idées associées et les imposent, comme une carte forcée, à la conscience ordinaire alors que celle-ci croit choisir à volonté. - Il arrive aussi que les doigts de la main insensible commencent à remuer, à être pris de trémulation, à tapoter sur la table. Hélène regarde avec surprise ces doigts « qui bougent tout seuls » ; cela l’amuse d’abord, puis l’irrite, sa volonté n’ayant plus de prise sur eux, et elle essaye avec son autre main de les maintenir immobiles, mais en vain. Ces mouvements automatiques finissent bientôt par se régulariser en frappements intelligents d’épellation par lesquels Léopold se manifeste, ou bien ils se généralisent à toute la main et aux bras, pour aboutir, après diverses contorsions spasmodiques figurant une attaque en miniature, à des attitudes passionnelles et des gestes significatifs se rattachant au rêve somnambulique qui commence. - Il n’y a, en somme, aucune régularité dans la distribution, changeant d’un instant à l’autre, des anesthésies, contractures, convulsions de tous genres que présentent les mains et les bras d’Hélène. Tout cela semble du pur caprice, ou ne dépend que des rêves sous-jacents mal connus. J’ai vu, par exemple, Hélène faire tous ses efforts pour arracher ses mains de la table, et n’arriver qu’à les retirer péniblement jusqu’au bord, où les phalangettes des trois plus longs doigts restèrent comme clouées, tandis que la table, remuée par ce minime contact, lui déclarait qu’elle ne pourrait se libérer entièrement tant qu’elle n’aurait pas raconté à haute voix un certain incident qu’elle s’obstinait à taire.

Des phénomènes analogues et tout aussi capricieux d’anesthésie, tics convulsifs, paralysie, sensations de toutes sortes dont Hélène se plaint, se produisent souvent au visage, dans les yeux, la bouche, le cou, etc. Au milieu de tous ces troubles, dont ni la présence ni le groupement n’ont rien de constant, les visions se déclarent et le somnambulisme s’introduit avec des modifications également variables d’autres fonctions : pleurs, sanglots, soupirs, hoquets répétés, bruits oesophagiens, changements divers du rythme respiratoire, etc.

Si l’on continue trop longtemps à expérimenter sur Hélène et à la questionner, on gêne le développement des visions originales, et elle arrive facilement à un degré de suggestibilité où l’on retombe sur le répertoire classique des représentations publiques d’hypnotisme : état de charme et de fascination, dans lequel elle reste en arrêt devant quelque objet brillant, la bague, les breloques ou un bouton de manchette de l’un des assistants, puis se précipite avec frénésie sur cet objet lorsqu’on tente de l’enlever ; poses et attitudes émotionnelles sous l’influence d’airs joués au piano ; hallucinations suggérées de tout genre, serpents effrayants qu’elle poursuit avec les pincettes, fleurs magnifiques qu’elle respire à pleins poumons et distribue aux assistants, blessures saignantes qu’on lui fait à la main et qui lui arrachent des larmes, et ainsi de suite. La banalité de ces phénomènes décourage de les pousser bien loin, et l’on s’ingénie par divers moyens dont aucun n’est très rapide ni très efficace, par exemple en lui faisant des passes sur les yeux, à la plonger en un sommeil tranquille, d’où elle ne tarde pas à glisser d’elle-même dans son somnambulisme propre et à reprendre le fil de ses imaginations personnelles.

Si l’on a évité toutes ces investigations perturbatrices, le déroulement spontané des automatismes se fait avec plus de rapidité et d’ampleur. On peut alors assister, dans la même séance, à un spectacle très varié, et avoir d’abord dans un état encore à demi éveillé des communications particulières pour tel ou tel assistant ; puis, en somnambulisme complet, une vision hindoue suivie d’un rêve martien, avec une incarnation de Léopold au milieu, et une scène de Marie-Antoinette pour finir. À l’ordinaire, deux de ces dernières créations suffisent déjà à bien remplir une séance. Une telle représentation ne va d’ailleurs pas sans causer au médium une notable dépense de force qui se traduit par le sommeil terminal se prolongeant parfois jusqu’à une heure de temps, et entrecoupé, comme je l’ai dit, de récidives des scènes somnambuliques précédentes, bien reconnaissables à certains gestes ou au murmure de paroles caractéristiques. À travers ces diverses oscillations et les réveils éphémères dont j’ai parlé plus haut, Hélène finit par revenir à son état normal ; mais les séances qui ont été trop longues ou mouvementées lui laissent une grande fatigue pour le reste du jour ; il lui est même souvent arrivé de rentrer dans le somnambulisme (dont elle n’était probablement pas complètement sortie) au cours de la soirée ou en retournant à la maison, et de ne recouvrer son état parfaitement normal qu’à la faveur du sommeil de la nuit.

Sur la nature réelle des sommeils d’Hélène à la fin des séances et sur les états de conscience qu’ils recouvrent, il m’est difficile de me prononcer, n’ayant pu les observer que dans des conditions défavorables, c’est-à-dire en présence d’assistants plus ou moins nombreux et peu tranquilles. La plus grande partie consiste certainement en somnambulismes, où elle entend tout ce qui se passe autour d’elle, car, bien qu’elle semble profondément endormie et absente, les suggestions qu’on lui donne alors pour après le réveil sont enregistrées et s’exécuteront à merveille à moins que Léopold, qui est presque toujours là et répond par les mouvements de tel ou tel doigt aux questions qu’on lui fait, n’y fasse opposition et ne déclare que la suggestion ne s’accomplira pas ! Il y a pourtant de courts moments où Hélène paraît se trouver dans un profond coma et une sorte de syncope sans trace de vie psychique ; le pouls et la respiration continuent paisiblement, mais elle ne réagit à aucune excitation, les bras soulevés retombent lourdement, on ne peut plus obtenir aucun signe de Léopold, et les suggestions faites en cet instant ne se réaliseront pas. Ces phases léthargiques où toute conscience semble abolie sont généralement suivies de phases cataleptoïdes où les bras et les mains conservent toutes les positions et continuent les mouvements de rotation ou d’oscillation qu’on leur imprime, mais jamais au-delà d’une à deux minutes. La suggestion par l’ouïe
accompagne souvent, mais pas toujours, celle par le sens musculaire : les claquements de doigts ou de langue, les coups de poings sur la table, le choc des mains l’une contre l’autre, etc., sont fidèlement reproduits, avec le même rythme, après un retard allant jusqu’à vingt ou trente secondes. Je n’ai, par contre, jamais observé d’écholalie, ni l’harmonisation de la mimique du visage avec les attitudes communiquées aux membres supérieurs, et au total je ne saurais dire où se trouve la limite, dans ces phénomènes cataleptoïdes d’Hélène, entre la catalepsie véritable et sa contrefaçon somnambulique par suggestion. En tout cas, authentiques ou seulement apparents, les états syncopaux et cataleptiques ne constituent à la fin des séances que des phases transitoires et très courtes, comparées aux divers somnambulismes manifestés par des attitudes significatives, la présence de Léopold, et la réceptivité aux suggestions posthypnotiques.

À défaut d’expériences plus complètes, voici une comparaison de la force musculaire d’Hélène et de sa sensibilité à la douleur avant et après une séance de près de trois heures, dont la seconde moitié en plein somnambulisme. - À 4 h 50, en se mettant à la table, trois essais dynamométriques avec la main droite donnent kil. 27,5 ; 27 ; 25 ; moyenne 26,5. La sensibilité à la douleur, mesurée sur le dos de la phalange médiane de l’index avec l’algésiomètre de Griesbach, donne à droite gr. 35, 40, 20, 20, moyenne 29 ; à gauche 35, 20, 20, 15, moyenne 22,5 gr. (Sensibilité un peu plus délicate que chez une autre dame présente à la séance, pas médium et en parfaite santé.) - À 7 h 45, quelques minutes après le réveil définitif : Dynamomètre, main droite 8 ; 4,5 ; 4,5 ; moyenne 5,7. Algésiomètre : analgésie complète tant à gauche qu’à droite ; sur tout le dos de l’index, comme sur le reste de la main et du poignet, le maximum de l’instrument (100 gr.) est atteint et dépassé sans éveiller aucune sensation douloureuse, mais seulement une impression de contact. Une heure plus tard, après avoir dîné : Dynamomètre 22, 22, 19, moyenne 21 ; Algésiomètre 20, 18, à droite ; 15, 20, à gauche. On peut donc dire que la force et la sensibilité à la douleur, normales immédiatement avant l’entrée en séance, sont encore abolies dans le premier quart d’heure après le réveil, mais se trouvent restaurées au bout d’une heure de temps. - La perception des couleurs, en revanche, paraît aussi parfaite immédiatement après le réveil qu’avant la séance.

Le tremblement de l’index, normal avant la séance, est très exagéré dans son amplitude pendant un certain temps après le réveil, et reflète parfois les mouvements respiratoires comme on peut le voir par les courbes de la fig. 2. Cela dénote une forte diminution de la sensibilité kinesthésique et du contrôle volontaire sur l’immobilité de la main.

FIGURE 2
Tremblement de l’index droit. - A. B, C. fragments de courbes prises à l’état normal avant une séance (A et C, yeux fermés ; B, yeux ouverts regardant l’index). - D, E, F. fragments de courbes recueillies successivement un quart d’heure après la séance. La courbe F reflète les oscillations respiratoires. - Les courbes vont de droite à gauche, et l’intervalle entre les deux lignes verticales est de dix secondes.

L’état dans lequel Mlle Smith réalise les suggestions posthypnotiques qu’on lui a faites au cours de ses somnambulismes, lorsqu’elles ne se sont heurtées ni à l’opposition déclarée de Léopold ni aux états de léthargie dont j’ai parlé, est intéressant par sa diversité, qui semble dépendre de la plus ou moins grande facilité de concilier l’hallucination ou l’acte suggéré avec la personnalité normale d’Hélène. L’exécution en plein état de veille paraît réservée aux suggestions anodines, exemptes d’absurdité, ne jurant point avec son caractère et les circonstances présentes, et dont l’idée peut être, par conséquent, facilement acceptée et réalisée par le Moi ordinaire lorsqu’elle y surgit au moment voulu. Si, au contraire, il s’agit de choses plus compliquées et difficilement compatibles avec les points de vue raisonnables de l’état de veille normal, Hélène retombe momentanément en somnambulisme pour l’exécution de l’ordre donné, si même elle n’y est pas restée d’une manière permanente, nonobstant son réveil apparent, pour ne rentrer définitivement et complètement dans son état ordinaire qu’après cette exécution dont il ne lui reste alors aucun souvenir.

Quand on a, par exemple, suggéré à Hélène d’aller, après son réveil, admirer la photographie qui est au coin de la cheminée, ôter le coussin du fauteuil pour le mettre sur le canapé, sentir le bouquet et demander à la dame de la maison de lui en donner quelques fleurs, feuilleter tel volume sur la table, etc., elle s’acquitte de ces actes insignifiants et faciles de la façon la plus naturelle, sans avoir l’air de rien, et en prenant de curieux détours, s’il le faut, pour les fondre dans le cours normal de la conversation, en sorte qu’un témoin non prévenu n’en serait aucunement surpris. Interrogée ensuite sur ce qu’elle a éprouvé, elle décrit très clairement la genèse de son acte : tout en causant, elle s’est sentie attirée vers l’angle de la cheminée sans savoir pourquoi ; après avoir résisté un moment à ce sentiment inexplicable, elle a trouvé un prétexte quelconque pour se lever de sa chaise et changer de place, de façon à s’approcher en passant dudit angle, où son regard s’est alors porté malgré elle sur la photographie, etc. Il est intéressant de noter que, d’après ses descriptions, l’acte final ne se présente pas d’emblée à son esprit ; elle est d’abord vaguement attirée dans telle direction, vers tel meuble, et c’est seulement une fois arrivée là que la suggestion se précise, par étapes successives, jusqu’au bout.

Dans d’autres cas, la suggestion qui surgit en elle comme une obsession la trouble davantage, et tout en se dirigeant sans savoir encore au juste dans quel but du côté obligé, elle soupçonne la nature anormale de l’impulsion à laquelle elle obéit : « Vous m’avez fait quelque chose, dit-elle... vous m’avez joué un tour... je ne sais pas ce qu’il y a... » - Il s’établit parfois un compromis entre l’idée suggérée et le Moi normal qui la trouve absurde : Hélène, par exemple, prendra bien une fleur dans un vase et l’apportera sur la table devant Mme X., mais sans la lui offrir explicitement comme on le lui avait suggéré, parce que cela lui semble déplacé dans les circonstances données.

Si quelque hasard empêche l’accomplissement de l’acte en temps opportun, Hélène est exposée à être poursuivie pendant les jours suivants par le sentiment pénible d’une chose à faire dont elle ne se rend pas clairement compte. Un jour, par exemple, que je lui avais dit d’aller prendre, cinq minutes après son réveil, un certain presse-papier sur une de mes tables, j’oubliai ma suggestion à la fin de la séance et nous quittâmes la chambre avant qu’Hélène l’eût accomplie. Pendant toute la quinzaine qui suivit, elle fut obsédée par l’image vive, non pas du presse-papier mais d’un certain angle de ma table (vers lequel elle se serait dirigée pour le prendre), avec l’impression qu’elle avait à y faire quelque chose d’indéterminé ; je n’arrivai pas à la délivrer de cette hantise dans l’intervalle en lui racontant à l’état de veille cette suggestion et lui disant de n’y plus penser, et il fallut pour l’en débarrasser qu’au début de la première séance qui eut lieu de nouveau chez moi, Léopold lui dictât par le guéridon l’ordre d’aller enfin saisir le fatal presse-papier.

Quand la suggestion est plus compliquée ou heurte décidément le bon sens (je ne parle pas de suggestions choquant la morale ou les convenances, que par un motif d’égards extra-scientifiques je n’ai jamais essayées avec Mlle Smith, et que Léopold, tel que je le connais, n’eût probablement pas laissé passer), Hélène reste ou rentre en somnambulisme pour son exécution et ne s’en souvient pas ensuite. Je lui dis un jour, pendant une scène hindoue, qu’à son réveil elle prendrait M. Paul Seippel, présent à la réunion, pour M. T. [qui avait assisté jadis à quelques séances, mais n’y était pas revenu depuis un an] et lui manifesterait son plaisir de le revoir. Ces deux messieurs n’ont aucune ressemblance de visage ni de caractère, et une telle confusion était en somme inconciliable avec l’état normal. Après le réveil, qui eut lieu deux heures plus tard selon les formes accoutumées et semblait parfait, Hélène ne tarda pas à se tourner vers M. Seippel et l’apostropha comme s’il était M. T., s’étonnant de le revoir après une si longue absence, lui demandant des nouvelles de Mme T., etc. M. Seippel, qui connaissait à peine M. T., soutint avec son humour habituel ce rôle imposé, et il s’ensuivit une conversation d’un burlesque achevé, toute pleine de coq-à-l’âne les plus désopilants, où Hélène, absolument anesthésique à l’égard des autres assistants, ne cessa de causer avec un naturel, un sérieux, une présence d’esprit qu’il faut être somnambule pour déployer à ce degré dans de telles circonstances. Les éclats de rire des spectateurs, ceux de M. Seippel lui-même et les apartés à notre adresse dont il émaillait sa conversation, rien de tout cela n’existait pour Hélène qui ne voyait et n’entendait, dans les gestes et les paroles de son interlocuteur, que ce qui pouvait en quelque mesure cadrer avec son idée de M. T. Elle ignorait si bien le reste de son entourage qu’elle se laissa entraîner par les questions insidieuses du faux M. T. à émettre sur plusieurs des assistants des jugements qu’elle n’eût jamais énoncés en leur présence dans son état de veille, car elle sait bien que toute vérité n’est pas bonne à dire (mais le somnambulisme excuse tout, et peut-être au fond Léopold, ou le subliminal de Mlle Smith, s’en doute-t-il un peu). Cette scène inénarrable dura près d’un quart d’heure ; puis soudain Hélène, fermant les yeux avec un soubresaut convulsif et une sorte de hoquet, retomba dans le fond du canapé, plongée dans un profond sommeil, d’où elle se réveilla quelques minutes après, pour de bon cette fois, et complètement amnésique sur ce qui venait de se passer. Un de ses premiers mots fut bien de demander : « Où est donc M. T. ? » mais ce ne fut que comme un écho fugitif de la scène précédente, car elle parla aussitôt d’autre chose, et questionnée à ce sujet quelques moments plus tard, elle se rappelait seulement avoir vaguement pensé à M. T. ce jour-là, mais n’avait aucun souvenir précis de toute la séance qui avait duré trois heures de temps.

Dans cet exemple, le premier éveil n’était certainement qu’apparent. Il en est de même en beaucoup d’autres cas où, tout en semblant dans son état normal parce qu’elle cause et boit du thé avec les assistants, elle n’y est pas du tout en réalité - comme suffiraient à le montrer son air absorbé et la lenteur de ses réponses, sans même recourir aux troubles sensibles et moteurs qu’on peut constater à ses mains - jusqu’à ce que dans le cours de la soirée elle ait trouvé l’occasion de s’acquitter de quelque suggestion dont le souvenir inquiétant la maintenait en demi-somnambulisme. Mais il y a aussi des exemples où le réveil paraît vraiment complet entre la séance et l’exécution de la suggestion ; c’est surtout le cas lorsque l’échéance de celle-ci est liée à un signai extérieur, tel que trois coups frappés sur la table, etc. ; du changement d’apparence et d’état que la production de ce signal détermine chez Hélène, on peut inférer qu’avant ce moment elle était bien réellement éveillée comme elle le semblait, et que la subconscience attendait paisiblement dans l’ombre le signal convenu pour envahir de nouveau la personnalité ordinaire.

Tous les faits qui précèdent ne renferment rien de neuf, et j’aurais pu me dispenser de les citer s’il ne m’avait paru utile de mettre en lumière, par ces quelques exemples, l’extrême suggestibilité de Mlle Smith pendant ses séances. Il est permis d’en conclure qu’à peu près rien de ce qui se dit ou se passe autour d’elle n’échappe à sa subconscience, en sorte que ses romans somnambuliques trouvent continuellement de nouveaux aliments et de puissantes impulsions dans les réflexions mêmes qu’ils provoquent de la part des assistants.

Un mot encore sur la préparation des séances.

Je ne songe point à une préparation consciente, à un travail réfléchi et voulu de la part d’Hélène, mais à une incubation ou élaboration subliminale, ignorée d’elle, affleurant tout au plus le niveau de sa personnalité ordinaire sous la forme de fugitives lueurs, d’images fragmentaires, pendant le sommeil de la nuit ou les moments de rêvasserie. Mlle Smith n’a, en effet, aucune prise, ne possède aucune influence sur la nature de ses visions et somnambulismes. Elle peut, sans doute, jusqu’à un certain point favoriser d’une façon générale leur apparition en recherchant la tranquillité, la pénombre, le silence, et en s’abandonnant à une attitude d’esprit passive (autohypnotisation, séances) ; ou l’entraver, au contraire, par le mouvement, la distraction, l’activité au grand jour ; mais, dans le contenu même, déterminé et concret, de ses automatismes, elle n’est pour rien et n’a aucune part de responsabilité. Qu’il s’agisse de ses grands cycles ou de messages détachés, tout cela se fabrique en elle malgré elle, et sans qu’elle y ait son mot à dire, pas plus que nous dans la formation de nos rêves.

Si l’on se rappelle, d’autre part, que les phénomènes d’incubation, de préparation subliminale ou cérébration inconsciente sont un fait général et jouant son rôle dans la psychologie de tout le monde, on doit s’attendre à ce qu’ils se rencontrent également chez les médiums et y tiennent une place d’autant plus grande que la vie subconsciente est en eux plus développée. Chez chacun de nous, déjà, l’attente ou la simple perspective d’un événement quelconque, un départ, une visite, une commission ou une démarche à faire, une lettre à écrire, et, en somme, tous les incidents jusqu’aux plus insignifiants de l’existence quotidienne, du moment qu’ils ne sont pas absolument imprévus, provoquent d’avance une adaptation psychophysiologique plus ou moins étendue et profonde. À côté et au-dessous de l’expectative consciente, des émotions ressenties, des dispositions physiques ou mentales prises volontairement en vue de l’événement, il se fait toujours une préparation sous-jacente plus intime, un changement que l’on peut concevoir, suivant la face sous laquelle on considère l’individu, comme une orientation psychique particulière ou un certain ajustement cérébral, une modification dans l’associabilité des idées ou dans le dynamisme des neurones corticaux. Or tout nous montre que chez les personnes douées de médiumité, par suite même du fossé creusé entre leur Moi normal et les sous-personnalités qui s’agitent dans la profondeur, la préparation sous-jacente est susceptible de revêtir à la fois une importance plus considérable que chez le commun des mortels, et une indépendance beaucoup plus complète de la conscience ordinaire.

Pour en revenir à Mlle Smith, comme elle sait plus ou moins longtemps d’avance chez qui aura lieu sa prochaine séance et quelles personnes elle y rencontrera presque à coup sûr, il serait tout naturel que cette connaissance préalable du milieu et des assistants influât sur ses préoccupations subliminales et dirigeât en une certaine mesure le cours de l’incubation latente dans un sens plutôt que dans un autre. On peut donc se demander si le spectacle varié qui remplit les séances est toujours impromptu et prend naissance au gré du moment comme les rêves ordinaires, ou s’il était subconsciemment prémédité, la séance n’étant alors que l’exécution d’un programme arrêté, la représentation coram populo de scènes déjà mûries dans les couches profondes du médium.

Aucune de ces deux hypothèses, prise exclusivement, ne répond aux faits, mais il y a du vrai en toutes deux. Le menu des séances, si l’on me passe cette expression, est toujours composé d’un ou deux plats de résistance, soigneusement mitonnés à l’avance dans les officines subliminales, et de divers hors-d’oeuvre laissés à l’inspiration du moment. Plus exactement encore, la trame générale, les grandes lignes et les points saillants des scènes qui se dérouleront sont fixés au préalable, mais les détails d’exécution et les broderies accessoires dépendent entièrement du hasard des circonstances. On en a la preuve d’une part dans la souplesse, la parfaite aisance, l’à-propos avec lesquels les automatismes d’Hélène - si l’on peut encore appliquer le mot d’automatismes à des cas dont la spontanéité, la possession de soi, le libre jeu de toutes les facultés, constituent le trait dominant - s’adaptent souvent aux conditions inattendues du milieu et à l’intervention capricieuse des assistants ; d’autre part, dans le fait que Léopold, interrogé dès le début de la séance, sait ordinairement fort bien et annonce les principales visions ou incarnations qui vont avoir lieu, pourvu du moins que les spectateurs n’en viennent pas arrêter le déroulement par leur intempestive insistance à réclamer autre chose.

Les conversations animées, et parfois pleines de spirituelles reparties, de Léopold ou de Marie-Antoinette avec les assistants, n’ont pu être préparées à l’avance et sont tout le contraire de la répétition stéréotypée qu’on attend volontiers des phénomènes automatiques. Mais, d’un autre côté, cette répétition presque purement mécanique et dénuée de sens s’est présentée en maintes occasions. J’ai vu, par exemple, surgir des scènes somnambuliques tout à fait déplacées et constituant à ce moment-là de véritables anachronismes, tandis qu’elles auraient eu leur pleine raison d’être et se seraient trouvées en parfaite situation huit jours plus tôt et dans un autre milieu ; seulement, la séance qui avait été organisée dans cet autre milieu, et à laquelle lesdites scènes étaient évidemment destinées, ayant dû être renvoyée au dernier moment par suite de circonstances imprévues, c’est la séance suivante qui a bénéficié de ces messages ajournés. Cela prouve à la fois que l’imagination subliminale d’Hélène prépare jusqu’à un certain point ses principales productions en vue des conditions et de l’entourage où la séance aura probablement lieu, et que, d’autre part, ces produits une fois élaborés doivent s’éliminer et jaillissent avec une sorte de nécessité aveugle, en temps ou hors de temps, dès que l’entrée d’Hélène dans un état hypnoïde favorable leur en fournit l’occasion. Il en ressort également que sa personnalité normale n’est en somme pour rien dans la préparation des séances, puisqu’elle ne peut ni réprimer ou transformer des scènes mal adaptées au milieu réel, et dont l’apparition ennuie parfois beaucoup Mlle Smith lorsqu’on les lui raconte après la séance ; ni provoquer des messages dont elle désirerait et espère vainement la production, tels par exemple qu’une consultation médicale de Léopold, l’incarnation d’un parent défunt, ou une scène d’un certain cycle plutôt que des autres, pour un assistant qui en a spécialement envie et à qui elle ne demanderait pas mieux que de procurer ce plaisir si cela dépendait d’elle.

Il y aurait beaucoup à dire encore sur le côté psychologique des séances de Mlle Smith, mais il faut se borner. On pourra, du reste, s’en faire une idée plus complète par les exemples servant d’illustrations, dans les chapitres suivants, aux principaux cycles de sa brillante fantaisie subliminale.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes

[1Ce n’est pas l’une des moins scandaleuses barbaries de notre prétendue civilisation que ces maisons de commerce et ces grands magasins d’où le « sens des affaires » semble avoir banni toute notion d’humanité, et où l’on voit des organismes féminins, au mépris de la physique la plus élémentaire, condamnés des heures durant à une quasi-immobilité dans la station debout, et exposés aux foudres de l’honorable patron pour chaque instant de repos pris à la dérobée et par contrebande sur quelques méchant escabeau.

[2J’insiste une fois pour toutes sur le fait qu’Hélène n’appartient point à la classe des somnambules de profession, ni des personnes qui battent occasionnellement monnaie avec leur médiumité. (Soit dit en passant, ces deux catégories d’industriels, dont je n’ai aucune raison de médire du reste, me paraissent beaucoup moins nombreuses chez nous, même toute proportion gardée, que dans la plupart des grandes villes et beaucoup d’autres pays.) Mlle Smith, qui gagne largement sa vie dans la place où son intelligence et aptitudes l’ont fait arriver, et dont la famille jouit d’ailleurs d’une modeste aisance, ne retire jamais aucun profit pécuniaire de ses séances ou consultations. Un tel trafic de facultés qui ont une sorte de valeur et de signification religieuses à ses yeux répugnerait absolument à son caractère.

[3Hélène désire naturellement savoir ce qui s’est passé pendant ses somnambulismes, et on le lui raconte - en gros.

[4Deux fois seulement à ma souvenance j’ai profite de ce qu’elle avait un jour de vacance devant elle pour lui donner une suggestion à échéance du lendemain matin.

[5Selon le récit concordant de M. X., sa femme dit à Mlle Smith : « Je serais curieuse de savoir quelles impressions vous ressentiriez si vous montiez dans ce ballon. »

[6Vision se rapportant au cycle oriental ; cet homme était le cheik arabe père de Simandini.

[7Voici quelques échantillons de ces impromptus, assurément à la hauteur des circonstances qui les ont inspirés, mais sur lesquels il ne faudrait point juger les facultés poétiques conscientes de Mlle Smith.

À une petite fille toute fière de ses souliers neufs :
 Marcelle est là, venez la voir,
 Elle a ses petits souliers noirs.

Dans une discussion culinaire :
 Vous détestez les omelettes
 Autant que moi les côtelettes.

À une personne quelque peu vaniteuse :
 Vos richesses, ma chère amie,
 Ne me font point du tout envie !

[8Voir sur l’allochirie P. Janet, Stigmates mentaux des hystériques, p. 66-71 et Névroses et Idées fixes, op. cit., t. I, p. 234.

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