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L’inconscient et le Livre noir (IX)

Nous sommes tous les noms de la mythologie

Texte de l’intervention au Café « Le Relais Jussieu » (29 juin 2006)

Date de mise en ligne : samedi 15 juillet 2006

Auteur : Guy MASSAT

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Texte de l’intervention de Guy Massat au Café « Le Relais Jussieu » (37 rue Linné - 75005 Paris) le jeudi 29 juin 2006.

L’inconscient

Le message de la psychanalyse, celle qui est l’efficace, est simple : il n’y a que du langage. Il y a le langage du corps, le langage de l’esprit et, d’abord et surtout, le langage de l’inconscient. Le dasein est langage. Les trois catégories de l’existence dont nous faisons si grand cas, l’être, l’avoir et le faire, ne relèvent que du langage et du langage de l’inconscient. L’inconscient est un discours comme le discours ordinaire ou le discours savant avec leurs refoulements, leurs transferts, leurs répétitions, leurs culpabilisations et leurs petits bénéfices. Le discours de l’inconscient échappe à l’intelligence consciente mais il est repérable par nos lapsus et nos actes manqués, comme le dit Héraclite depuis 2500 ans. À part Freud personne ne l’entendait. La mythologie, les sophistes grecs et autres pré-socratiques nous confortent également sur ce point de vue. Le langage est une pulsion constante donc il est immortel. « Les écrits passent la parole reste » comme dit Lacan. Nous avons vu l’importance de la triplicité.

La dernière fois nous avons rencontré Antiphon de Corinthe qui « guérissait toutes les maladies par la parole et l’interprétation des rêves ». À Corinthe où Antiphon tenait son cabinet, on raconte que les dieux et les hommes parlaient ensemble autrefois. Nous avons aussi présenté le traité du non-être de Gorgias qui démontre qu’il n’y a rien et pas même rien en dehors du langage. Ce que soutient aussi Heidegger et Lacan. Lacan qui nous affirme dans ses Écrits : « C’est le monde des mots qui créée le monde des chose » ; et dans Silicet : « C’est du langage que nous tenons cette folie qu’il y a de l’être ».

À propos de Gorgias je voudrais souligner la remarque qu’il faisait à propos du paiement de ses leçons, remarque qui souligne ce que disait Freud sur l’importance du prix des séances en psychanalyse. Gorgias faisait des leçons à cinq drachmes ou à cinquante drachmes. Or Gorgias remarquait que les séances à cinquante drachmes, c’est-à-dire dix fois plus chères que les autres, donnaient des résultats beaucoup plus heureux et efficaces que celles à cinq drachmes. Pourtant, pratiquement, c’était exactement la même leçon en temps et en nature. Alors pourquoi la plus chère était-elle la plus efficace et la plus rentable pour ses élèves ? Sans connaître l’inconscient et ses échanges on ne peut trouver de réponse valable.

Il s’agit en fait du refoulement de l’inconscient. Si vous refoulez l’inconscient ou telle ou telle partie de l’inconscient, ne vous étonnez pas d’être refoulé dans le conscient et de ne rien réussir. La psychanalyse nous ramène chez nous par le langage. Lorsque Ulysse aborde à Ithaque, après voir perdu tous ces compagnons dans ses fantastiques voyages, il ne sait pas où il est. Mais par les mots d’Athéna « soudain son pays apparaît ». Or Athéna n’existe pas, c’est une figure de l’inconscient. Comme dit Heidegger « les Grecs ne croyaient pas à leurs dieux ». Ce qui est vrai, mais nous ajouterons : Les Grecs ne croyaient pas à leurs dieux parce qu’ils savaient s’en servir. La mythologie traduit la dynamique générale de l’inconscient.

Raymond Devos

Il n’y a que du langage, c’est-à-dire des mots. On ne peut dire cela sans évoquer Raymond Devos. Raymond Devos n’avait nullement le don des langues, il avait le don des mots. D’ailleurs, enfin de compte, que peut-on donner si ce n’est des mots ? L’amour n’est qu’un mot. Raymond Devos savait faire parler les mots. Il montrait que les mots sont comme nous, ou que nous ne sommes que des mots. Les mots peuvent être timides ou provocants, stupides ou sublimes, ils peuvent s’ennuyer dans leur sérieux ou être libérateurs. Ce sont les mots qui parlent en faisant parler d’autres mots. Nous pouvons les retourner, les étirer, les désarticuler, les travestir, les déconstruire et les reconstruire autrement. Ils sont plastiques. Ils peuvent se déplacer, se refouler, être actifs ou passifs, se retourner sur eux-mêmes, s’inverser en leur contraire ou se sublimer. Ils peuvent s’habiller en débraillé ou en smoking.

Les faux-monnayeurs de mots, il y en a, sont ceux qui changent les mots en maux. On les reconnaît facilement : ils ne rigolent pas. Ils affirment que les mots n’ont jamais qu’un sens, un mono-sens, un sens unique, que ces faux-monnayeurs s’efforcent d’imposer comme étant le bon sens. Ce qui est, comme dit Lacan dans Télévision, « le sommet du comique ». Le mono-sens est une beaufitude qui conduit au pire jusqu’à ce qu’on s’en libère en riant. En fait, dans la dimension inconsciente nous sommes tous empêtrés dans des mots, dans de la mère comme dans un placenta métaphorique qui nous enveloppe pour étouffer nos paroles. Les mots sont polythéistes. Ils doivent nous mener au rire de Zeus, au rire de l’univers. Ce sont les mots qui nous libèrent des maux.

J’ai appris que le philosophe préféré de Raymond Devos était Gaston Bachelard, le philosophe des sciences qui faisait remarquer justement qu’aujourd’hui, avec la désatomisation de la substance, il n’y avait plus de choses. Nous sommes passés dans une autre dimension. Il n’y a plus de matière mais seulement du langage. La matière n’est plus aujourd’hui que « matière à rire », selon l’expression de Raymond Devos.

Car nous ne sommes que des mots puisqu’on ne peut s’identifier que par des mots. Tout ce qui nous constitue, notre peau, nos organes, nos os, sont des mots. D’ailleurs on ne voit pas ce que l’on ne peut nommer, ni entendre ce que l’on ne peut pas dire, ni le sentir, ni le goûter, ni le toucher. Plus nous avons de mots plus nous sommes importants. Nous faisons des mots, nous les prenons, les comprenons, les pénétrons, les violons. Nous leur faisons subir tous les outrages : nous les déshortographions, les phonétisons, les anagrammatisons.

Apparemment à un mot n’appartient qu’un sens comme la mère appartient au père. Mais nous pouvons pénétrer ce mot à notre fantaisie, subjectivement. C’est ça l’inceste. On détourne un mot de son sens officiel (tuer le père c’est changer le sens) et on pénètre le mot d’un sens subjectif (pénétrer un mot c’est pénétrer sa mère).

Raymond Devos n’a donc cessé de tuer son père (le sens des mots) et de pénétrer sa mère (par des significations tout à fait personnelles). Ce qui montre que l’Œdipe peut être vraiment joyeux.

Imaginez l’histoire d’un homme qui coucherait avec sa mère, ce qui n’est pas interdit entre adultes consentants, (l’article 162 du code civil n’interdit que le mariage), puis un jour, il apprend que celle qu’il croyait sa mère ne l’est pas, c’est une femme quelconque. Sous le choc de cette terrible révélation, il meurt d’émotion. Vous pouvez décliner cette tragédie entre père et fille, frère et sœur etc.

Mais il y a aussi l’histoire inverse de cette jeune fille qui ne connaissait pas son père. Sa mère lui avait expliqué que c’était un aristocrate écossais qui s’appelait McMican et dont le blason de famille était composé de deux Griffons et d’un oiseau. « Si un jour tu vois ce nom et ce blason », lui avait-elle dit, « tu sauras qu’il s’agit de ton père ».

Or la jeune fille rencontre un jour un homme qui partage avec elle un coup de foudre réciproquement foudroyant. Ils se retrouvent dans un chambre d’hôtel dans laquelle ils restent trois jours et trois nuits sans sortir et à s’aimer fougueusement. Mais voilà que l’homme s’absente dans la salle de bain ; sur le sol la jeune fille voit un passeport. Elle le regarde et le nom de McMican avec le fameux blason de deux griffons et un oiseau lui sautent aux yeux. Horreur, s’écrie-t-elle, je viens de faire pendant trois jours l’amour avec mon père ! Leur chambre étant au dixième étage, elle ouvre la fenêtre et saute. La police arrive : - « Ceci est votre passeport ? demande le commissaire. - Pas du tout, répond l’homme. C’est un passeport que j’ai trouvé et que je m’apprêtais à apporter au commissariat quand j’ai rencontré cette jeune-fille ! »

Voilà ce qui peut nous arriver quand on n’a pas accès au langage inconscient, on croit qu’on a fait des choses qu’on n’a jamais faites, ou qu’il nous est arrivé des choses qui ne se sont jamais passées. C’est toute l’histoire d’Œdipe lequel ne comprenait pas ce que les mots voulaient dire. Tant qu’on ne comprend pas que le mot véritable est autre que le mot qu’on exprime, nous sommes la proie d’un chaos de difficultés. Ce n’est qu’en labourant sans cesse le langage sur le divan qu’on arrive à la paix véritable.

On pourrait donc proposer une épitaphe pour le tombeau de Devos. On écrirait « mot » et en dessous « ceci n’est pas un mot » :

Mot
- - -
Ceci n’est pas un mot.

Cette formule refoule le refoulement bien mieux que la pipe de Magritte sous laquelle est précisé : « ceci n’est pas une pipe ». Un mot est toujours un autre. Seul il ne signifie rien, mais seulement par rapport à un autre. On ne connaît un mot que si l’on connaît aussi son antonyme. Ainsi les mots ne cessent de vivre et de mourir. Ils apparaissent, disparaissent et réapparaissent autrement. C’est ce qui fait aussi la difficulté - mais c’est une difficulté apparente - de la psychanalyse.

Il y a, à partir de Freud, une séparation irréductible entre l’inconscient et le conscient. Freud inaugure cette rupture schismatique avec toutes les formes d’inconscient qui l’ont précédé. Une séparation semblable à celle du fini et de l’infini. Le fini c’est le conscient qui meurt. L’infini c’est la vie qui devient. Refouler cette division, cette vision du dit ou du langage peut rendre la vie très compliquée.

Conscience

Que disons-nous quand nous disons conscience ? Nous disons conscience réfléchie. Il s’agit de la conscience qui est conscience en tant que conscience de soi, conscience thétique d’elle-même, comme on dit, ou encore conscience immédiate de quelque chose. « Je pense donc je suis ». Et nous tenons là, croyons-nous, la vérité.

Pourtant la conscience immédiate peut aussi être conscience immédiate de rien, conscience immédiate de la poussée du vide, en ce sens elle est l’inconscient. Comme l’a montré Sartre : « La conscience du vide est un vide de conscience », c’est-à-dire l’inconscient. L’inconscient est seulement un vide de conscience réfléchie. Et cet inconscient intotalisable est dynamique, chaotique, autonome et parlant. Le philosophe n’est pas allé jusque là. Il l’a refoulé, comme tout un chacun. Cet inconscient n’est pas totalisable comme le voudrait la conscience, simplement parce qu’il est en constant devenir.

Le refoulement originaire

Vous vous souvenez que Lacan inaugure son séminaire en comparant l’analyste au Maître Zen : « Le maître interrompt le silence par n’importe quoi. » De quel silence s’agit-il ? Il s’agit du silence que l’on fait à propos de l’abîme, à propos de la poussée du vide originaire. Ce refoulement du vide n’est autre que le refoulement originaire. Lacan enseigne : « Ce trou que je vise et où je reconnais l’Unverdrangung, elle-même », à savoir le refoulement originaire. Ce refoulement originaire, « le Maître l’interrompt par “n’importe quoi... un coup de pied, un coup de poing, un sarcasme” ». Le refoulement originaire est le refoulement du vide, le refoulement du trou du jaillissement dynamique et sans fond à partir du quel les choses apparaissent.

Le vide est la poussée originaire et constante. C’est ce que nous dit encore mieux la physique moderne. Une poussée c’est une droite qui refoule. Mais elle engendre un chaos de refoulements et d’agitations d’où finissent par apparaître la triplicité des nœuds que sont les phénomènes.

Football

Selon l’auteur de « La controverse pied-main », Xavier de La Porte, le football, serait un refus de la théorie du transformisme de Darwin. L’Angleterre ne pouvait supporter que l’homme descende du singe, lequel possède d’horribles mains. C’est pourquoi elle inventa un jeu où la main n’intervenait pas. Ce que l’auteur ne dit pas c’est qu’avant le singe, les animaux n’ont justement pas de mains mais seulement des « pieds ». Le foot relève donc d’une régression. Mais la régression, à l’évidence, peut être tout à fait satisfaisante.

À propos de la main et de la poignée de main, Lacan nous dit : « la main dans l’acte de poigner ne connaît pas l’autre main ». C’est que dans la main nous pouvons repérer toutes nos résistances : Le pouce, c’est le refoulement puisqu’il s’oppose aux autres doigts ; l’index est le transfert, puisqu’il montre le chemin. Le majeur est la répétition puisqu’il est le doigt de la masturbation. L’annulaire est la culpabilité puisque c’est le doigt du mariage. Et l’auriculaire, puisqu’il est le plus petit, représente les bénéfices secondaires.

Mais nous ne connaissons pas justement les résistances de la main de l’autre et de son pouce, c’est-à-dire la poussée et l’intensité de son refoulement. Voilà pourquoi les jeux de mains sont souvent des jeux de vilains.

Le double visage de Janus est triple comme l’une bévue (l’unbewusste)

L’époque romaine a assimilé Janus, avec sa double tête, à Chaos, le principe originel des Grecs. Janus était le dieu des portes car tout s’ouvre ou se ferme selon son désir. Mais si vous joignez les deux profils d’un visage vous ne pourrez éviter de faire trois visages : deux de profils et un de face. C’est comme pour la double hache crétoise, deux de profil et un de face. Le Chaos est triple comme le temps et produit des formes en trois dimensions. Le cube marque ces trois dimensions dans l’espace.

Sans la mémoire du rien au triple visage, sans la mémoire du vide, sans la mémoire du Chaos, il n’y aura qu’une répétition dualiste et douloureuse. Des portes qui s’ouvrent et qui se ferment. Souvenons-nous ce que dit Gorgias : Il n’y a rien et même pas rien. Et de ce que dit Lacan : « Rien, peut-être ? non pas peut-être rien, mais pas rien » (Tuché et Automaton, p. 62).

Le triple visage de Janus est « le passe sans porte » des Maîtres Zen.

Le vide originel est une poussée qui ne s’oppose pas au plein mais au statique qu’il soit mobile ou non. On ne tombe pas dans le Chaos, contrairement à ce que nous disent les idéologues qui prétendent ne vouloir que notre bien, bien au contraire, le chaos, l’abîme, le vide puisque ce sont des poussées, est ce qui nous pousse et nous soulève vers des hauteurs où les phénomènes nous apparaissent alors plus intéressants les uns que les autres.

Comme dit Houen neng : « Tout est vide depuis le commencement où la poussière, (c’est-à-dire la pulsion, la nôtre ou celle de l’autre) pourrait-elle tomber ? » Poussière et pulsion ont la même racine, « pel », agiter : où la poussière pourrait-elle tomber ? Quel conflit de pulsions pourrait nous abattre ? De quelle pulsion pourrait-on avoir peur ?

Le réel est inaccessible parce qu’en constant devenir et le devenir vraiment devenir est chaotique. S’il n’était pas le Chaos ce ne serait pas vraiment un devenir puisqu’il serait prédictible.

Chaos

Gorgias nous a montré que l’être était un leurre, une illusion, un fantasme, dans son « Traité du Non-être ». Vous vous souvenez de ce que nous avons vu : Il n’y a ni être ni non être. L’être ne peut être ni un ni multiple, ni fini ni infini. Même s’il y avait de l’être il serait inconnaissable, même si était connaissable il serait incommunicable. Donc, il n’y a rien et même pas rien. Il n’y a que du langage. Voilà en résumé l’enseignement de Gorgias.

« C’est du langage que nous tenons cette folie qu’il y a de l’être », enseigne Lacan (Silicet, 6/7, p. 49). Etre c’est rater !

Le vide du conscient n’est pas celui de l’inconscient. Chaos est antérieur à ce que l’on appelle vide dans le conscient. Ce vide n’est en réalité qu’une dépression, le premier, une poussée créatrice.

Heidegger dans « Acheminement vers la parole » nous dit de même : « La parole qui est parole nous laisse en suspens au-dessus d’un abîme autant que nous serons endurants à ne pas nous éloigner de ce qu’elle dit ». « La parole elle-même n’est autre que l’abîme ». La parole est l’abîme. Le vide parle, le Chaos est ce qui parle. Chaos est ce que va par delà ou comme disent les Grecs : c’est ce qui arrive, là où tu ne peux pas.

Le Chaos est un infini mobile comme le temps, c’est-à-dire un triple infini : trou infini du passé, trou infini du présent, trou infini de l’avenir. Le chaos est absolu ; si on ne le voit pas, c’est qu’il se cache, même sous le plus harmonieux des cosmos. Le chaos est éternel. Ce qui nous fait mieux comprendre ce que dit Lacan à propos de la pulsion à savoir qu’il s’agit d’une force constante. « La première chose que dit Freud de la pulsion, c’est si je puis m’exprimer ainsi, qu’elle n’a pas de jour ou de nuit, qu’elle n’a pas de printemps ni d’automne, qu’elle n’a pas de montée ni de descente. C’est une force constante » (p. 150). Il faudrait tout de même tenir compte des textes, et aussi de l’expérience. Si la pulsion ne connaît pas les jours et les nuits, les printemps et les hivers, c’est dire qu’elle est comme les dieux de la mythologie qui ne connaissent pas, nous rapporte-t-on, l’alternance du jour et de la nuit puisqu’ils vivent dans une lumière permanente toute de douceur et de satisfaction.

Donc, la poussée originaire est le vide, le Chaos. « La constance de la poussée interdit, dit Lacan, toute assimilation de la pulsion à une fonction biologique ». Le but de la pulsion est la satisfaction. Mais la satisfaction de la pulsion ne correspond pas à celle du conscient. Aucun objet de peut satisfaire la pulsion dans le conscient. Ce n’est pas de la nourriture que la bouche se satisfait, même quand nous nous gavons. C’est bien plutôt comme dit Lacan « de commander le menu ».

La pulsion ne se satisfait qu’en faisant le tour de son objet. C’est Lacan qui a montré la dissociation entre l’objet et le but de la pulsion. Toute pulsion est partielle et son but est un retour en circuit. La pulsion est un aller-retour, une boucle. Le parcours de la pulsion est circulaire et c’est en quoi elle se satisfait.

C’est parce que fondamentalement il n’y a pas de chose qu’aucune nourriture ne satisfera jamais la pulsion orale, si ce n’est à contourner l’objet éternellement manquant. Le vide est la poussée originaire qui ne fait que des tours autour des trous que sont les « objets » petits a. Fondamentalement il n’y a que le vide qui nous fait désirer, non par manque mais par poussée.

Le Chaos est un vide sans fond sans rien de sacré dans une agitation perpétuelle où ne règne que le hasard sans ordre et avec des vitesses si infinies qu’on ne les voit pas. C’est la béance du devenir imprévisible et qui parle même si sa parole véritable est, en définitive, toujours autre que sa parole exprimée.

D’abord fut Chaos, nous dit Anaxagore, puis vint l’intelligence qui organisa tout. Il y a donc la poussée du vide toute droite qui engendre une guerre pulsionnelle d’où se détache soudain une intelligence autonome.

« Aucune praxis plus que l’analyse n’est orientée vers ce qui, au cœur de l’expérience, est le noyau du réel », nous dit Lacan. Qu’est-ce que le réel ? C’est l’inconscient, la poussé du Chaos originaire. Où et quand rencontrons-nous l’inconscient ? Par hasard. Il y a en grec l’automaton et la tuché deux notions qui désignent le hasard. « La tuché est au-delà de l’automaton », nous dit Lacan. La tuché c’est ce qui vient par accident, sans motif.

« À l’origine, nous dit Freud, tout était ça ». « Le ça et l’inconscient sont aussi étroitement lié que le moi et le préconscient ». « Tout d’abord, nous dit Hésiode, fut Chaos ». Chaos on pourrait le prononcer cha-os. « Os » c’est la bouche en latin, ce qui donnerait « la bouche du ça ». Ce qui, d’une certaine manière, conserve le sens même de Chaos en grec : l’abîme.

Kaos, nous dit le Robert appartient au groupe Khainen ; « ouvrir, ouvrir la bouche, béer ». Ces mots appartiennent à la racine indo-européenne « ghen » qui exprime la notion de vide.

Philologiquement le mot grec Kaos signifie : ouverture béante, gouffre, abîme. Il y a aussi un Kaos qui signifie « noble, vénérable », « les nobles ancêtres ». Toutes les civilisations qui nous ont précédés, et que nous admirons, ont été mises KO par le Chaos. La nôtre n’y échappera pas. Le Chaos gagne toujours par K.O. comme son nom l’indique. Le Chaos est au commencement au milieu, à la fin et après. Tout ordre est produit par le chaos, il le maintient et le défait en faveur d’un nouvel ordre lequel peut être supérieur ou inférieur à celui qui l’a précédé. Cela ne dépend de rien. Le chaos est l’abîme dynamique du devenir.

Alors que Chaos s’oppose à Cosmos, comme l’inconscient s’oppose au conscient, certains voudraient effacer cette séparation. Ils disent que tout en s’excluant le Chaos et le Cosmos coopèrent, font leur chemin ensemble dans une sorte de Chaosmos. Ils parlent même de « théorie du Chaos », ce qui n’est qu’un oximoron, on en conviendra, c’est-à-dire des mots contradictoires, autrement dit, une affirmation involontaire de la supériorité du Chaos. D’une certaine manière rien n’est plus beau que le Chaos, la dysharmonie.

La mort de Socrate
La vérité qui n’est pas belle n’est pas la vérité.

Le Phédon de Platon nous rapporte la mort de Socrate accusé par le tribunal de l’Héliée de corrompre la jeunesse et de ne pas croire aux Dieux. Socrate est condamné à boire la ciguë, poison mortel. Socrate n’est pas coupable et la condamnation est injuste. Son ami Criton lui propose alors de fuir. Tout est préparé. Mêmes des étrangers sont prêts à payer sa fuite en Thessalie. Les amis de Socrate seraient des lâches s’ils n’aidaient pas à cette fuite. Tout le monde est d’accord. Ce serait négligence que de ne pas sauver Socrate.

On sait ce que répond Socrate : Mieux vaut mourir victime de l’injustice que de la commettre. « Suppose, dit Socrate, qu’au moment de nous enfuir d’ici, les Lois et la Cité tout entière viennent se présenter devant nous et nous adressent ces paroles : “Dis-nous Socrate, que vas-tu faire ? Une action comme celle que tu entreprends peut-elle tendre à autre chose qu’à nous détruire ?” »

Socrate boit la ciguë. Mais avant de se coucher en cachant sa face sous un voile, il dit :
 « Criton, nous devons un coq à Asklépios, payez la dette et n’oubliez pas ! » 

Il était coutume, en ce temps là, après qu’on se soit guéri d’une maladie d’offrir un coq blanc, symbole d’un jour nouveau, à Asklépios, le dieu de la médecine.

Or ces derniers mots de Socrate posent un problème aux philosophes. Le sage Socrate considère-t-il par cette formule que la mort le guérit de la maladie de la vie ? La vie n’est-elle donc qu’une maladie ? La mort est-elle le grand médecin qui nous guérit de la vie ? « Sans la mort, comment pourrions-nous supporter “tout ça” ? », demande encore Lacan dans sa conférence de Louvain.

Pourtant, si l’on fait comme Dumézil - cet historien qui savait compter jusqu’à trois -, l’étude philologique du Phédon et du Criton, on verra que le coq destiné à Asklépios n’est pas pour Socrate mais bel et bien pour Criton.

Car c’est Criton qui est hystérique au sens où Lacan dit que « L’hystérique c’est l’inconscient en exercice qui met le maître au pied du mur de produire un savoir » (Radiophonie) et c’est Socrate qui guérit Criton et ses amis de leur hystérie de la fuite en disant : « Criton, nous devons un coq à Asklépios, payez la dette et n’oubliez pas : C’est moi qui vous ai enseigné ce que l’on doit faire ».

Nous remarquerons de plus que l’attitude de Socrate est beaucoup plus belle que celle de Criton. Ici la beauté est plus satisfaisante que la vérité. Les plus beaux visages ne sont que des fumées qui passent. Une vérité qui ne serait pas belle ne serait pas une vérité.

Oedipie, Orestie

On peut parler d’Oedipie comme on parle de l’Orestie d’Eschyle. L’Orestie d’Eschyle fut représentée en 458 av. J.-C. aux Grandes Dionysies d’Athènes où elle remporta le premier prix. L’Orestie est composées de trois tragédies centrées sur les Atrides (la famille funeste d’Atrée et de son frère Thyeste. - Vous vous souvenez de la formule : Un dessein si funeste, s’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste, inscrite sur La lettre volée de Dupin). Les trois tragédies d’Eschyle sont : Agamemnon, les Choéphores (les libations) et les Euménides (les bienveillantes).

Mais cette triplicité est également valable pour le triangle Oedipien : Père-Mère-Enfant. Car il y a dans l’Œdipe trois tragédies, celle de l’enfant, celle de la Mère et celle du Père. Ainsi, me semble-t-il peut-on parler d’Oedipie comme on parle d’Orestie.

Je vous ai présenté l’Œdipe comme on ne vous l’a jamais raconté, en douze mythèmes qui donnent à parler de la vie de n’importe qui.

De même que la sortie de l’Œdipe est le moment de la prospérité comme le succès universel d’Athènes l’a montré, Oreste, le matricide, défendu devant le tribunal athénien, par deux suprêmes avocats : Apollon et Athéna, sera relevé du crime suprême, l’assassinat d’une mère, et les Erinyes (les terribles vengeresses) qui le poursuivaient seront métamorphosées en Euménides (les bienveillantes).

La malédiction d’Œdipe comme celle d’Oreste, c’est-à-dire nos propres malédictions, nos mauvais dires, peuvent ainsi être levés, revirginisés par la parole.

Pour mieux comprendre l’histoire rappelons que les Erynies naquirent du sang qui tomba sur la Terre lors de la castration d’Ouranos. Elles sont au nombre de trois : Alecto, Tisiphoné, et Mégère dont le nom est resté célèbre jusqu’à nos jours pour désigner une femme acariâtre et méchante. Ce sont des génies à la chevelure faites de serpents. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » s’écrit l’Oreste de Racine dans sa célèbre allitération. Les Erinyes incarnent la vengeance. Comme elles sont nées de la plus ancienne divinité, Ouranos, elles ont autorité sur tous les dieux des générations ultérieures, Zeus y compris. Mais, par la parole, les Erynies peuvent êtres métamorphosées en Euménides, en puissances bienveillantes.

Œdipe tue son père et ça mène à la prospérité générale (douzième mythème). Oreste tue sa mère, le crime le plus atroce de tous, et il est défendu par Athéna et Apollon, puis acquitté.

Il y a deux O dans l’alphabet grec : omicron et oméga. Micro c’est le père et méga c’est la mère. La lettre O a pour étymologie œil. Nous avons deux yeux comme nous avons deux parents, un pour Œdipe un pour Oreste. J’aime à penser que c’est la raison pour laquelle les grands poètes depuis Homère étaient aveugles au sens propre ou au sens figuré. Ils avaient fait ce que recommande le Maître Zen Lin tsi : « Si vous rencontrez vos parents tuez-les ».

À ce point de notre discours il convient bien évidemment de ne pas confondre le conscient et l’inconscient comme dit Freud. Mais comment se débarrasser de notre mère ? C’est ce qu’il y a de plus difficile. C’est ce qui cause nos inhibitions. Il faut pour cela comprendre que le Chaos originaire, la poussée originaire, c’est nous-même et non pas autre chose. Nous sommes notre propre génération, notre propre parturition sans père ni mère. Toute identification au père ou à la mère est une pathologie.

Dans « Psychologie de la violence » j’ai raconté la haine acharnée que Gaïa, la Terre notre mère mythologique, portait à sa descendance. La terre est certes la mère des vivants, elle s’élève vers le haut avec les splendides montagnes mais elle s’enfonce aussi vers le bas avec des souterrains où s’agitent d’horribles monstres. C’est la Terre qui fait castrer son époux Ouranos. C’est elle qui trompe Chronos en lui faisant avaler un rocher. Quand Zeus prit le pouvoir sur Chronos elle déclencha une guerre terrible contre les Olympiens qu’on appelle la Gigantomachie, la guerre des géants. Ces géants de la Terre étaient des êtres monstrueusement sanguinaires. Ils étaient d’une force inimaginables. On rapporte que leurs jambes étaient si musclées qu’on aurait cru de gigantesques serpents entrelacés. Zeus ne pouvait les vaincre seul. Il dut faire appel non seulement à ses frères et sœurs, à ses fils et à ses filles, mais encore à un héros mortel, le célèbre Hercule, Héraclès.

La victoire sur les géants ne fut acquise qu’après de terribles combats où tous les Olympiens et le mortel Hercule réalisèrent d’incroyables prouesses. Alors Gaïa fit surgir de ses abîmes les plus profonds un monstre encore plus terrible que les autres, Typhon à la violence prodigieuse.

Typhon tenait le milieu entre un être humain hors normes et un fauve des pulsions archaïques. Il était plus grand que toutes les montagnes et sa tête pouvait heurter les étoiles. On raconte que lorsqu’il étendait les bras, l’une de ses mains touchait l’Orient et l’autre l’Occident. Les doigts de ses mains se terminaient par cent têtes de dragons. À partir de la ceinture il était couvert de vipères. Il avait des ailes et ses yeux sont les ancêtres des lances flammes. Il pouvait user de voix multiples ; de temps à autre il parlait le langage des dieux, puis celui de hommes. À d’autres moments il poussait des hurlements de bêtes sauvages. Il rugissait comme un lion, mugissait comme un taureau. Il possédait une infinité de façons de s’exprimer.

Après toute sortes de combats pathétiques Zeus réussit à vaincre Typhon en lui lançant le mont Etna sur la tête. On raconte que les flammes qui sortent encore du volcan Etna sont celles que fait jaillir toujours Typhon l’horrible fils de la Terre.

C’est que la Terre a un double visage, comme celui de toute mère, elle est à la fois l’assise sûre et nourricière pour tous les êtres vivants et c’est aussi un être horrible méchant et vengeur capable de refouler toute chose. Zeus est ce qui triomphe de cette ambiguïté.

Le un est une fente, la fente originaire

« À l’écoute, dit Héraclite, non de moi mais du logos, il est sage de convenir que tout est un (c’est-à-dire fendu) : la vérité comme l’erreur sont impermanentes » (frag. 50). Le un chez Héraclite n’est pas le un massif du conscient mais la fente, le trou, l’abîme, le Chaos. Tout ce qui se montre à chaque fois n’est que quelque chose qui ne fait qu’apparaître.

Après la poussée du Chaos se produisent des nœuds : Un nœud est fait au minimum de trois croisements comme le montre la mythologie : de Chaos sortent ensemble une triplicité, c’est-à-dire un nœud fait de la Terre, du Désir et de la Nuit. C’est le nœud premier de la mythologie.

Héraclite dans son fragment 10 explique l’importance les nœuds :
 « Les nœuds, dit-il, peuvent être complets ou incomplets, alternés ou non alternés, ils tiennent ou ne tiennent pas, mais ils se résument à un (c’est-à-dire à une fente, au trou qui les constitue) et d’un (trou) tous les nœuds se forment ».

Comme dit Lacan :
 « Un trou suffit pour nouer un nombre strictement indéfini de consistances » (RSI, p.158) et « le cercle n’est du trou que la conséquence » (RSI, p.167). Le trou n’est pas ici une cavité c’est la poussée primordiale.

Rêves

Comme je lui recommandais de lire la science des rêves un patient me dit :
 « Je ne m’intéresse pas aux rêves qui ont cent ans ». Je lui racontai alors un rêve du Vème s. av. J.-C. celui du Général grec Thémistocle. Mais voici d’abord ce que le célèbre historien grec Thucydide nous dit de Thémistocle :

« Grâce à la seule force de son génie, sans étude préalable ou subséquente, il jugeait par intuition des affaires présentes, et prévoyait avec une rare sagacité les événements futurs. Les questions qui lui étaient familières, il savait les mettre dans leur meilleur jour ; celles qui étaient neuves pour lui, il ne se lassait pas de les résoudre. Il discernait du premier coup d’oeil les chances bonnes ou mauvaises des affaires encore obscures ; en un mot, par son inspiration naturelle et sans aucun effort d’esprit, il excellait á trouver sur-le-champ les meilleures résolutions. »

Voici le rêve que fit Thémistocle au moment où son ennemi, Xerxès, le roi des Perses, le faisait rechercher. Xerxès avait mis à prix la tête de Thémistocle : deux cents talents d’or pour qui le ramènerait mort ou vivant.

« Thémistocle rêva qu’un serpent remontait le long de son corps mais qu’au moment où il atteignait son cou le reptile se transformait en aigle. L’aigle s’empara de lui et le transporta alors dans les airs pour le poser finalement sur un bâton doré. Dès que les pieds de Thémistocle touchèrent ce bâton étrange, il se sentit définitivement libéré de toute crainte ».

Le serpent est la connaissance du devenir, il se transforme en aigle symbole de la victoire qui le pose sur le bâton, le signifiant de la parole. Ce bâton n’est autre que la barre qui sépare le signifiant du signifié.

Thémistocle comprit que ce rêve lui annonçait qu’il pouvait vaincre Xerxès par la parole.

Déguisé en femme il partit sans la moindre hésitation rejoindre la cour du roi des Perses. Parvenu jusqu’au roi, il lui parla si bien que Xerxès lui offrit les deux cents talents d’or destinés à sa mise à mort. De plus, il lui octroya trois villes avec d’importants revenus.

Ce rêve, qui date de quelque 2500 ans, illustre à la perfection l’interprétation des rêves selon Freud et le concept de phallus selon Lacan qui date de 1958. Lacan a fait du phallus un concept fondamental de la psychanalyse en montrant sa fonction dans l’inconscient et sa place dans le langage. Rappelons que ce bâton qu’est le signifiant, le phallus, « la femme, comme dit Lacan, n’est pas sans l’avoir ».

Comme les plaisanteries, les rêves les plus courts sont parfois les meilleurs. Ce même patient me rapporta le rêve suivant (il m’a autorisé à le rapporter) : « Je suis dans un ascenseur, dit-il, et je descends ». Il m’en donne l’interprétation suivante : Ma libido est en baisse : L’ascenseur qui monte c’est la libido qui monte, quand il descend c’est la libido qui chute. Je lui propose une autre interprétation. N’oublions pas ce que dit Freud : le rêve est avant tout un rébus. Les rêves sont du langage. L’ascenseur c’est l’A censeur, le grand A censeur. Vous le descendez, c’est-à-dire vous le tuez. Vous tuez le censeur, vous tuez la censure. En mathème lacanien ça s’écrirait S de grand A barré : S(A). Et alors ? me dit-il. Je réponds : En tuant la censure vous trouvez le sens sûr, mais ne vous y trompez pas : le sens sûr c’est celui qui est le moins sûr. « Tout par en fumée » conclut-il.

Rhinocéros

Le nez est ce qui occupe la première place, le sommet, la corne, céros. Dans céros il y a Eros, le désir. Le nez du désir, le sommet du désir. Dans la scène du puits de la grotte de Lascaux, le seul animal vivant est le rhinocéros. Ionesco dans sa pièce le Rhinocéros, qu’on interprétera comme on voudra, montre selon nous, le conflit de l’être et du désir en tant que poussée. « Quand tout devient fumée, dit Héraclite, les trous des narines savent discerner » (frag. 7). et encore : « Le souffle vital flaire dans les enfers » (frag. 98).

L’helléniste distingué, honorable et très honoré Jean-Pierre Vernant prétend que le panthéon grec ne présente pas dans sa construction une clef de voûte trifonctionnelle. Or nous l’avons vu c’est justement le contraire. La triplicité sort du Chaos avec ses trois fonctions distinctes, la Terre, le désir et la nuit. De plus le Chaos est en trois figures. Et la Mythologie dans son ensemble se divisent en trois parties le règne d’Ouranos, de Chronos et de Zeus
qui correspondent aux trois degrés de l’organisation libidinale, oral, anal, génital. Mais J.-P. Vernant, quelques soient ses mérites, ne veut pas de l’inconscient freudien. C’est un savant débranché, comme il y en a beaucoup.

La libido est pourtant combinée à une pulsion agressive et destructrice dès le stade oral. Ce qui est figuré par Ouranos. Le stade anal par sa fonction d’expulsion-rétention caractérise la figure de Chronos : il produit des enfants qu’il remet dans son ventre. Le stade phallique c’est enfin le règne de Zeus et le stade génital celui des Olympiens. Zeus étant le souverain suprême des dieux et des hommes.

De sorte que, d’une certaine manière, nous avons été, et nous sommes toujours, tantôt Ouranos, tantôt Chronos, tantôt Zeus, sans compter tous les noms de la mythologie.

Quand nous étions petits, si nous avons bonne mémoire, nous étions immenses, comme le ciel étoilé. Nous étions l’époux de notre mère et nous lui faisions des enfants que nous refoulions au tréfonds de sa chambre, comme ses maris. Un jour elle eut marre de nous et de notre exclusivisme. Elle fit une serpe aiguisée qu’elle donna au plus jeune d’entre eux pour qu’il nous coupa les témoins. De notre sang naquit Aphrodite, les trois Erynies, les trois cyclopes, et les trois hécatonchires, géants aux cinquante têtes et aux cent bras - auparavant nous avions fait six Titans et six titanes. Telle fut notre première enfance.

L’espace est limité comme l’a montré Einstein. Nous, le ciel, étions donc castré. Nous prîmes alors le nom de Chronos, nous devînmes le temps, et épousâmes notre sœur. C’était un vrai délice que d’absorber tout ce que l’on produit, à chaque seconde, à chaque minute, à chaque heure. Plus on absorbe plus on produit et dans un ordre expansif. Nous retenions tout dans notre ventre. Cette fois nous étions bien le maître du monde et c’était l’âge d’or.

Or voilà que notre épouse Rhéa apporta un arrêt mortel à notre appétit. Ce fut un arrêt torique, un arrêt du tore, la maudite rhétorique de Rhéa. Dans certains cas il ne faut pas hésiter à manger sa femme lorsqu’elle est enceinte. En tout cas on ne fait jamais assez attention à ce que l’on mange. On peut avaler et retenir des pierres sans qu’on s’en rende compte. Cette étourderie fatale fut la fin de notre seconde enfance.

Alors, nous devînmes Zeus, le souverain suprême des dieux et des hommes. Zeus celui qui a triomphé du Temps dévorateur, de la gigantomachie et de Typhon. Nous remarquerons que Zeus ne les a pas supprimés mais qu’il les a refoulés d’un refoulement salvateur qui montre qu’on peut triompher de nos vices et nos mauvais penchants.

Les mythes sont polysémiques, ils comportent des plans multiples de signification. Ce sont des récits ouverts à l’interprétation. Ils sont les structures mêmes de notre inconscient. Les analysants sont comme les aèdes d’autre fois seulement inspirés par la déesse Mémoire. Si vous voulez savoir ce qu’est entreprendre une analyse vous n’avez qu’à étudier tous les combats de Zeus avant qu’il devienne le Signifiant maître, le S1. Ses combats ont duré dix ans.

Conclusion

Je dirai pour conclure et en paraphrasant Héraclite que le logos dont parle la psychanalyse échappe à la saisie totalisatrice de l’intelligence des hommes ; aussi bien avant qu’ils ne l’entendent qu’après l’avoir entendue. En effet, toutes choses devenant conformes à ce discours, les hommes ressemblent à des apprentis sans expérience, alors qu’ils ne cessent de faire l’expérience des mots et des actes manqués que la psychanalyse relève en isolant chacun selon sa nature et expliquant ce qu’il renferme. À refouler ce discours, ce que font les hommes à l’état de veille, leur échappe de la même façon qu’ils oublient ce qu’ils produisent dans leur sommeil.

Trois point désignent la place vide. « Et cette remarque que le vide, dit Lacan dans Ou pire..., que le vide est la seule façon d’attraper quelque chose avec le langage ». Il y a toujours du muthos dans le logos... C’est l’inconscient dans le savoir du vide...

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