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Alexandre Cullerre

Impulsions irrésistibles au vol, aux achats, au jeu

Les frontières de la folie (Ch. III, §. III)

Date de mise en ligne : lundi 24 septembre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre III, §. III : « Impulsions irrésistibles au vol, aux achats, au jeu », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 110-116.

CHAPITRE III
IMPULSIFS

—  — —
III
IMPULSIONS IRRÉSISTIBLES AU VOL,
AUX ACHATS, AU JEU

Il ne se passe guère de semaine qu’on ne lise dans les journaux un fait-divers de ce genre : Hier les agents de la sûreté ont surpris en flagrant délit de vol dans un magasin, madame X… qui appartient à la meilleure famille et qui jouit d’une grande aisance.

Un pareil acte délictueux est de nature à surprendre, car il ne rime à rien. Aussi est-on naturellement porté à rechercher chez le coupable un trouble intellectuel. Il ne s’agit pas seulement d’une impulsion irrésistible et isolée, survenant à l’improviste et accaparant momentanément l’intelligence tout entière ; mais bien d’un trouble cérébral permanent, s’accusant par des signes reconnaissables. Le vol accompli dans les conditions précitées ne doit être considéré que comme un incident, comme un épisode de la maladie mentale [1].

Si l’on étudie en effet les particularités mentales des vrais kleptomanes, on voit qu’il s’agit d’héréditaires appartenant aux divers degrés de l’échelle des dégénérés ; principalement aux degrés inférieurs. Ce sont des instinctifs, des semi-imbéciles. Nous retrouverons ce caractère d’infériorité mentale chez les pyromanes qui presque toujours appartiennent à la catégorie des faibles d’esprit.

Dans la kleptomanie, comme dans les autres troubles mentaux avec impulsions conscientes, on retrouve l’intermittence, le phénomène du paroxysme, de la crise. L’obsession afflige le patient, et quand il y succombe, il éprouve souvent des regrets et même des remords.

Une jeune fille née de parents riches et de noble extraction, citée par Marc [2] éprouvait le besoin de s’emparer des objets de toute espèce qui frappaient sa vue. Elle tenait en réserve un grand nombre de mouchoirs, de dés, de fichus, de bas, de gants qu’elle avait enlevés à ses compagnes. Ses larcins venaient-ils à être découverts, elle ne cherchait pas à les dissimuler ; elle témoignait, par ses larmes, le repentir et la honte que sa conduite lui faisait éprouver ; elle promettait de résister à l’avenir à son odieux penchant, mais elle recommençait à la première occasion.

Selon son habitude, Marc ne donne aucun renseignement sur les antécédents héréditaires ou personnels de cette jeune fille. Il n’en est pas de même dans le cas suivant, emprunté aux journaux judiciaires :

Madame K… qui s’asseyait, le 27 janvier 1877, sur les bancs de la police correctionnelle de Paris, appartenait à une famille ayant en Russie une certaine situation, jouissant d’un revenu de 24,000 francs, elle faisait dans les magasins des achats de 3 à 400 francs qu’elle payait au comptant et en même temps dérobait des objets sans valeur dont elle n’avait nullement besoin. Le docteur Kortsakoff, venu exprès de Saint-Petersbourg, déclara que cette dame appartenait à la meilleure société et que jamais aucun soupçon défavorable n’était venu l’effleurer, et il ajouta qu’elle était d’une organisation ayant de grandes affinités avec certains états pathologiques du système nerveux ; qu’il existait, chez des personnes de sa famille, des troubles intellectuels et qu’une de ses soeurs était dans le moment même soumise à un traitement pour aliénation mentale. En outre, le défenseur fit valoir un certificat délivré par le savant aliéniste russe, le docteur Frabenius.

Bien que le trouble mental de cette malade ne fût pas douteux, elle n’en a pas moins été condamnée à trois mois de prison et trois cents francs d’amende.

Le cas suivant, dû à Trélat, est un exemple remarquable d’impulsion irrésistible au vol chez un imbécile.

M. M…, âgé de cinquante-six ans, quoiqu’il appartienne à la société éclairée, n’a jamais pu acquérir beaucoup de savoir. Il aime le monde et a toujours montré un grand éloignement pour sa famille. Plusieurs fois on a voulu le marier, il s’y est constamment refusé. On sait qu’il a trois logements dans Paris, et que dans chacun de ces logements il n’est servi que par une femme de ménage. On s’en étonne d’abord, mais il donne une explication si simple qu’on finit par s’en contenter. Il n’aime pas à faire de longues courses le soir, et les amis qu’il visite demeurent dans des quartiers différents. Peut-il mieux faire que de se rapprocher d’eux, et quel plus sage emploi trouverait-il de son excédent de revenu ?

Pendant la belle saison il voyage, va aux eaux, y rencontre les personnes qu’il connaît à Paris. Malgré le peu d’étendue de son intelligence, ii administre sa fortune ; ne l’augmente pas mais ne fait aucune perte. À l’âge où il est arrivé il a absolument les mêmes rentes que trente ans auparavant.

Toute sa vie se passe ainsi, sans qu’on remarque rien qui en trouble le cours. Il meurt subitement. On trouve dans chacun de ses trois appartements une pièce entièrement remplie, encombrée d’objets de toute sortes, de serviettes, de mouchoirs, de flambeaux, de vases, de lorgnettes, de cannes et parapluies, de petit tableaux, de médaillons, de couverts d’argent, de montres et bijoux de toute espèce que M. M… avait pris pendant trente ou quarante ans dans toutes les maisons qu’il fréquentait, sans qu’il eût été troublé ni gêné dans le cours de ses vols. Nombre de fois il avait entendu parler chez ses amis de leurs mésaventures. Des couverts avaient disparu, des montres avaient été enlevées, on venait d’accuser et de renvoyer des domestiques. Il ne s’en était pas montré ému le moins du monde et avait joint ses doléances à celles des victimes. De ces vols considérables il n’était pas résulté pour lui le moindre profit. Il n’en avait rien fait et tout se retrouvait. On se mit, à petit bruit, à la recherche des personnes volées ou de leurs héritiers, et l’on en découvrit un grand nombre. Les objets qui ne rencontrèrent plus leur maître furent vendus, et le produit fut donné aux pauvres.

Cet homme, d’un esprit très borna, avait mis une telle habileté dans ses vols et dans l’art de les dissimuler qu’il avait pu les continuer impunément et sans interruption pendant toute la durée de son existence. Il volait partout, à la ville, à la campagne, aux eaux, au bal, au spectacle et toujours avec tant d’adresse, qu’il ne lui arriva pas une seule fois d’être accusé, ni même soupçonné.

M. M… a eu deux aînés, morts de convulsions du premier âge, et un oncle hypocondriaque [3].

À côté des kleptomanes héréditaires, prennent place les cérébraux kleptomanes, dont Lasègue a fourni une très bonne étude [4]. Mais ces derniers appartiennent à un ordre de faits tout différent. Ce ne sont plus des individus qui cèdent à une impulsion consciente et irrésistible, mais des vertigineux, sujets à des accès épileptoïdes, à des périodes d’absence mentale, agissant d’une façon plus ou moins instinctive et inconsciente. Ils se rapprochent plus des déments, des paralytiques et des idiots qui dérobent par automatisme, que des psychopathes lucides que torture l’envie de voler et qui luttent de toutes leurs forces contre cette impulsion dont ils comprennent le caractère immoral et délictueux.

À côté de l’impulsion au vol, mérite de prendre place l’impulsion irrésistible aux achats déjà signalée par Trélat [5] et dont M. Magnan a entretenu récemment la société médico-psychologique.

II y a peu de temps, dit-il [6], j’ai eu l’occasion d’observer la manie des achats, oniomanie, transmise de la grand-mère au père et de celui-ci au fils qui était entré dans mon service. La grand-mère, soignée pendant plusieurs années dans l’asile de Bonneval, était oniomane. Elle achetait constamment et considérablement, au point qu’on fut obligé de régler ses dépenses. Elle achetait et jetait ce qu’elle achetait. Les ouvriers avaient remarqué l’heure où chaque jour elle se débarrassait de ses achats et recueillaient ses rebuts : poulets, poissons entiers, etc. S’apercevant un jour qu’on ramassait ce qu’elle jetait, elle s’en débarrassa désormais en le jetant dans les fosses d’aisances. Le père, également déséquilibré et oniomane, avait toujours été prodigue, mais sa manie d’acheter s’était accusée surtout après son mariage. Il achetait sans cesse toute espèce d’objets qu’il collectionnait, qu’il revendait aussitôt ou qu’il donnait (meubles, aliments, bijoux, etc.) Son accès d’oniomanie se présentait toujours de la même façon : Voyait-il un objet qui lui fît envie, il fallait qu’il l’obtînt à n’importe quel prix. Aussitôt le branle donné, tout ce qu’il avait sur lui passait dans l’achat d’une multitude d’autres objets dont il n’avait que faire. Enfin, chez le fils, les dispositions à l’oniomanie se révélèrent dès l’enfance par une prodigalité peu commune ; il abandonnait tout ce qu’il avait à ses camarades ; son plaisir était de faire des distributions d’objets de toute sorte, achetés avec son argent. De vingt à vingt deux ans, l’impulsion aux achats devint irrésistible. Il achetait sans raison plusieurs pièces de toile, des bijoux, des meubles, épuisait ainsi son capital, mais ne s’arrêtait pas. Il engageait les objets achetés au Mont-de-Piété, les dégageait ensuite et les rengageait plusieurs fois. Au marché, après avoir fait les acquisitions nécessaires, il lui était impossible de s’arrêter : c’étaient des multitudes de volailles, des sacs de légumes, toute sorte de provisions ; il en achetait de quoi remplir une voiture, il était toujours obligé de se faire aider par deux personnes. Pour les écouler, il lançait alors de nombreuses invitations. D’autres fois, il rentrait chargé de meubles. Pour peu qu’il s’arrêtât devant une boutique, il était victime de l’impulsion. C’était irrésistible, dit-il, je ne pouvais me raisonner, je me désolais, mais j’étais le moins fort. En dernier lieu, il avait fini par des actes de filouterie pour satisfaire son besoin irrésistible d’acheter.

Enfin mentionnons le penchant irrésistible au jeu dont un exemple a été signalé, dans ses cliniques, par l’auteur que nous venons de citer.

« Cet individu était poussé, dès l’âge de 4 ou 5 ans, à jouer, et cela d’une façon irrésistible ; il volait même pour satisfaire son impulsion. Pendant toute sa vie cette obsession s’est imposée avec le même caractère impulsif. Elle fut accompagnée, par la suite, de beaucoup d’autres et surtout de perversions sexuelles. Le malade finit par devenir paralytique général.

La passion du jeu, qui le plus souvent n’a rien de l’impulsion irrésistible, mérite plutôt de prendre place dans les perversions morales que nous étudierons ultérieurement. À ce titre, elle est parfois héréditaire.

« Une dame avec laquelle j’ai été lié, jouissant d’une grande fortune, avait, dit le chevalier Da-Gama Machado, la passion du jeu et passait ses nuits à jouer ; elle mourut dans un âge peu avancé, d’une maladie pulmonaire. Son fils aîné, qui lui ressemblait parfaitement, également passionné pour le jeu, passait, de même, ses nuits à jouer ; il mourut de consomption, comme sa mère, et presque au même âge qu’elle ; sa fille, qui lui ressemblait hérita des mêmes goûts, et mourut encore jeune [7]. »

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre III, §. III : « Impulsions irrésistibles au vol, aux achats, au jeu », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 110-116.

Notes

[1Lasègue, Vol aux étalages, Études. méd., Paris, 1884.

[2Marc, De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires.

[3Trélat, Loc. cit.

[4Lasègue, Archiv. gén. de méd., 1880.

[5Trélat, Loc. cit.

[6Soc. méd.-psychol., 28 juin, 1886. — Ann., 1886, t. I, p. 277.

[7Prosper Lucas, Traité de l’hérédité naturelle, Paris, 1847-1850.

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