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Alfred BINET

Fétichisme religieux et amoureux

Le fétichisme dans l’amour (Introduction)

Date de mise en ligne : samedi 9 août 2003

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Le fétichisme religieux. - Le Fétichisme de l’amour. - Le grand et le petit fétichisme. - Classification symptomatique des folies érotiques.

Le fétichisme, ce que M. Max Müller appelle dédaigneusement le « culte des brimborions », a joué dans le développement des religions un rôle capital. Quand même il serait vrai, comme on l’a prétendu dernièrement, que les religions n’ont pas commencé par le fétichisme, il est certain que toutes le côtoient, et quelques-unes y aboutissent. La grande querelle des images, qui a été agitée dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, qui a passé à l’état aigu à l’époque de la réforme religieuse, et qui a produit non seulement des discussions et des écrits, mais des guerres et des massacres, prouve assez la généralité et la force de notre tendance à confondre la divinité avec le signe matériel et palpable qui la représente. Le fétichisme ne tient pas une moindre place dans l’amour : les faits réunis dans cette étude vont le montrer.

Le fétichisme religieux consiste dans l’adoration d’un objet matériel auquel le fétichiste attribue un pouvoir mystérieux : c’est ce qu’indique l’étymologie du mot fétiche : il dérive du portugais fetisso, qui signifie chose enchantée, chose fée, comme l’on disait en vieux français [1] ; fetisso provient lui-même de fatum, destin. Pris au figuré, le fétichisme a un sens un peu différent. On désigne généralement par ce mot une adoration aveugle pour les défauts et les caprices d’une personne. Telle pourrait être, à la rigueur, la définition du fétichisme amoureux. Mais cette définition est superficielle et banale : elle ne peut nous suffire. Pour la préciser un peu, nous nous bornerons à mettre sous les yeux du lecteur certains faits qui peuvent être considérés comme la forme pathologique, c’est-à-dire exagérée, du fétichisme de l’amour.

MM. Charcot et Magnan ont publié les meilleures observations de fétichisme, et notre étude ne sera qu’un commentaire de ces observations, auxquelles nous en avons joint de nouvelles ; elles sont relatives à des dégénérés qui éprouvent une excitation génitale intense pendant la contemplation de certains objets inanimés qui laissent complètement indifférent un individu normal. Ces perversions sont assez répandues, car on en trouve la mention et parfois même l’analyse assez bien faite dans quelques romans contemporains.

L’objet de l’obsession est particulier et toujours le même pour chaque sujet. Nous en donnerons ces quelques exemples, qui paraissent bizarres à première vue : un bonnet de nuit, - les clous de souliers de femmes, - les tabliers blancs.

Le terme de fétichisme convient assez bien, ce nous semble, à ce genre de perversion sexuelle. L’adoration de ces malades pour des objets inertes comme des bonnets de nuit ou des clous de bottines ressemble de tous points à l’adoration du sauvage ou du nègre pour des arêtes de poissons ou pour des cailloux brillants, sauf cette différence fondamentale que, dans le culte de nos malades, l’adoration religieuse est remplacée par un appétit sexuel.

On pourrait croire que les observations précédentes, que nous avons résumées d’un mot, et sur lesquelles nous aurons à revenir, sont des monstruosités psychologiques ; il n’en est rien ; ces faits existent en germe dans la vie normale : pour les y trouver, il suffit de les chercher ; après une étude attentive, on est même étonné de la place qu’ils y occupent.

Seulement, dans ces cas nouveaux, l’attrait sexuel prend pour point de mire non un objet inanimé, mais un corps animé ; le puis souvent, c’est une fraction d’une personne vivante, comme un œil de femme, une boucle de cheveux, un parfum, une bouche aux lèvres rouges ; peu importe l’objet de la perversion ; le fait capital, c’est la perversion elle-même, c’est le penchant que les sujets éprouvent pour des objets qui sont incapables de satisfaire normalement leurs besoins génitaux. Aussi tous ces faits appartiennent-ils à un même groupe naturel : ils offrent en commun ce caractère bien curieux de consister dans un appétit sexuel qui présente une insertion vicieuse, c’est-à-dire qui s’applique à des objets auxquels normalement il ne s’applique pas.

Il convient d’ailleurs d’ajouter que tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour : il y a une dose constante de fétichisme dans l’amour le plus régulier. En d’autres termes, il existe un grand et un petit fétichisme, à l’instar de la grande et de la petite hystérie, et c’est même là ce qui donne à notre sujet un intérêt exceptionnel.

Si le grand fétichisme se trahit au dehors par des signes tellement nets que l’on ne peut pas manquer de le reconnaître, il n’en est pas de même du petit fétichisme ; celui-là se dissimule facilement ; il na rien d’apparent, de bruyant ; il ne pousse pas les sujets à des actes extravagants, comme à couper des cheveux de femme ou à voler des tabliers blancs ; mais il n’en existe pas moins, et c’est peut-être lui qui contient le secret des amours étranges et des mariages qui étonnent tout le monde. Un homme riche, distingué, intelligent épouse une femme sans jeunesse, ni beauté, ni esprit, ni rien de ce qui attire la généralité des hommes ; il y a peut-être dans ces unions une sympathie d’odeur ou quelque chose d’analogue : c’est du petit fétichisme.

Il sera donc intéressant pour chacun de nous de s’interroger, de se disséquer et d’examiner ce qu’il éprouve, pour comparer ses sentiments et ses goûts aux sentiments et aux goûts des grands fétichistes dont nous allons brosser le portrait. Aussi notre étude est-elle probablement plus intéressante par ce qu’elle suggère que par ce qu’elle dit.

En essayant d’englober tant de faits dans une même formule, nous arrivons à donner au mot fétichisme un sens inusité : à la lettre, il ne s’applique qu’à certaines de nos perversions, aux plus accusées ; les vrais fétichistes, ce sont les amants des clous de bottines ou des tabliers blancs ; mais si nous forçons les termes, c’est que nous sommes en présence d’une famille naturelle de perversions, et qu’il y a un intérêt majeur à donner a cette famille un nom unique.

Nous arrivons ainsi à grouper ensemble un grand nombre de faits : quelques-uns sont déjà connus ; mais on s’est borné jusqu’ici ici à des observations isolées ; ou n’a pas vu l’ensemble de la question ; on n’a pas saisi la généralité du phénomène. C’est cette synthèse que nous allons essayer. Nous nous proposons d’établir dans la classification symptomatique des folies génitales un genre nouveau, auquel nous donnons le nom de fétichisme.

Dans un récent article sur la folie érotique [2] M. BaIl propose de soumettre à la classification suivante les manifestations multiples de cette folie :

Érotomanie ou folie de l’amour chaste
Excitation sexuelle 1° Forme aphrodisiaque ;

2° - obscène ;

3° - hallucinatoire ;

4° Satyriasis ou nymphomanie

Perversion sexuelle 1° Sanguinaires ;

2° Nécrophiles ;

3° Pédérastes ;

4° Intervertis.

Si l’on accepte cette classification, qui est purement symptomatique, il faut ranger les fétichistes dans la troisième catégorie, celle de la perversion sexuelle, et créer pour eux une cinquième subdivision, qu’on peut placer à la suite de celle des intervertis.

Nous rappelons enfin que nous étudions les faits en psychologue et non en aliéniste. La différence des deux points de vue est facile à saisir. Pour l’aliéniste, le fait capital, c’est la relation du symptôme à l’entité morbide. L’étude de cette relation a conduit, comme on sait, Morel, M. Falret, et surtout M. Magnan, à considérer la plupart des symptômes que nous allons étudier comme des épisodes de la folie héréditaire des dégénérés. Pour le psychologue, le fait important est ailleurs ; il se trouve dans l’étude directe du symptôme, dans l’analyse de sa formation et de son mécanisme, dans la lumière que ces cas morbides font sur la psychologie de l’amour.

Voir en ligne : Alfred Binet > Le fétichisme dans l’amour > Chapitre I : Le culte des objets corporels

P.-S.

Alfred BINET, « Le Fétichisme dans l’amour », Études de psychologie expérimentale, Bibliothèque des actualités médicales et scientifiques, Octave DOIN Éditeur, Paris, 1888, pp. 1-85.

Notes

[1Maury, La Magie et l’Astrologie, ch. I - M. Max Müller rattache le mot fétiche, toujours par l’intermédiaire du portugais fetisso, au mot latin factitius, chose factice, sans importance.

[2Encéphale, 1887, p. 190

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