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Théodore Flournoy

Des Indes à la planète Mars : Préface

Des Indes à la planète Mars (Genève, 1900)

Date de mise en ligne : mercredi 29 mars 2006

Mots-clés : , ,

Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Le double titre de cet ouvrage en marque le caractère mixte et défectueux. À l’origine, ce devait être une Étude sur un cas de somnambulisme, c’est-à-dire une courte monographie, visant uniquement à l’exactitude, et limitée aux quelques faits de nature à intéresser les psychologues et physiologistes. Mais les circonstances en ont décidé autrement. Certaines polémiques locales, l’impossibilité évidente de restreindre aux spécialistes seuls la connaissance d’un cas auquel s’attachait déjà la curiosité d’un public plus étendu, d’autres considérations encore, m’ont fait dévier de mon plan purement scientifique pour orienter mon étude vers la vulgarisation. Si au moins j’en avais franchement pris mon parti en renonçant d’emblée à toute rigueur de méthode ! Si je m’étais appliqué à extraire d’un cas complexe, où l’on passe sans cesse des Indes à la planète Mars et à d’autres choses aussi imprévues, tout ce qu’il comportait d’intérêt anecdotique, de réflexions morales, de rapprochements historiques et de ressources littéraires ! Mais je n’ai pas su le faire. Je suis resté l’esclave, partagé et indécis, des directions opposées entre lesquelles il eût fallu choisir. J’ai couru deux lièvres à la fois, et l’on sait ce qu’il en advient !

Telle est la genèse de ce livre, d’une longueur hors de proportion avec l’importance de son contenu. Trop hérissé de termes techniques et de barbares interprétations pour rien dire aux gens du monde, trop rempli d’explications élémentaires et banales pour mériter l’attention des hommes du métier, il n’a ni la forme qu’il faut aux premiers, ni le fond que les seconds sont en droit d’exiger. Je le publie néanmoins - comme un exemple à ne pas suivre - afin de ne plus avoir à y penser, et en me consolant à l’idée qu’après tout personne n’est obligé de l’acheter ni de le lire.

Cela dit pour soulager ma conscience d’auteur, il me reste le devoir beaucoup plus doux d’exprimer ma reconnaissance à ceux qui m’ont aidé dans ma tâche.

Je tiens à mentionner en premier lieu mon excellent collègue M. le professeur Auguste Lemaître, dont j’aurais presque dû inscrire le nom à côté du mien en tête de cette étude, tant elle est à divers égards un produit de notre commune collaboration. M. Lemaître, qui m’a fait faire la connaissance du remarquable médium dont les phénomènes remplissent les pages suivantes, l’a observé et suivi depuis près de six ans avec une assiduité égale à la mienne, et m’a laissé profiter sans restriction, non seulement de ses notes et documents, mais, chose plus précieuse encore, de ses impressions personnelles d’observateur sagace et de psychologue pénétrant [1]. Il a bien voulu aussi revoir la plupart des épreuves de ce livre ; cependant, ma paresse ou mon entêtement n’ayant pas toujours tenu compte de ses corrections, on ne doit point le rendre responsable des fautes d’orthographe et de style qui émaillent encore ma prose. Quant aux idées, quoique en dépit d’un fréquent échange de vues nous ne soyons pas arrivés à nous mettre d’accord sur tous les points de détail (ce qui n’a rien d’étonnant en ces matières), nous ne différons guère, je le crois, sur la façon générale de comprendre et d’interpréter le présent cas. Aussi M. Lemaître est-il absolument hors de cause, il est bon de le dire une fois pour toutes, dans les allusions qu’il m’est arrivé de faire ici et là à l’adresse de l’entourage ou des amis spirites du médium.

M. Eugène Demote, docteur ès sciences, le savant numismate et directeur de la Revue suisse de photographie, qui a assisté à beaucoup de nos séances, a eu l’amabilité d’y prendre un bon nombre de clichés d’attitudes et de scènes somnambuliques, dont la personne intéressée n’a malheureusement pas autorisé la publication, par un scrupule de réserve et de modestie devant lequel nous ne pouvions que nous incliner. - M. Charles Roch a bien voulu se charger de la tâche ingrate de tenir le procès-verbal dans la plupart de nos réunions. - Je dois à l’extrême obligeance de M. le professeur Cuendet, vice-président de la Société d’études psychiques de Genève, la communication de plusieurs documents et d’observations marquées au coin d’un parfait bon sens. Malgré la différence inévitable de nos points de vue, les rapports que j’ai eus avec lui ont toujours été empreints de la plus franche cordialité. - Mon frère, M. Edmond Flournoy, m’a rendu de grands services par ses recherches bibliographiques étendues. De nombreuses personnes encore, que je regrette de ne pouvoir nommer toutes ici, m’ont fourni d’utiles renseignements sur les faits dont je n’ai pu être personnellement témoin.

Pour l’étude des données arabes et hindoues dont il sera question au chapitre VII, j’ai eu recours aux lumières de plusieurs orientalistes de notre pays. Ce sont M. Léopold Favre et M. le professeur Lucien Gautier, à Genève ; M. Auguste Glardon, ancien missionnaire aux Indes et associé honoraire de la Society for Psychical Research de Londres, à La Tour-de-Peilz (Vaud) ; et mes distingués collègues de l’université de Genève, MM. E. Montet, professeur d’arabe, P. Oltramare, professeur d’histoire des religions, et Ferdinand de Saussure, professeur de sanscrit. Par l’intermédiaire de ces messieurs, j’ai également obtenu les appréciations de deux éminents indianistes étrangers, MM. A. Barth, à Paris, et C. Michel, à Liège. Que tous ces savants veuillent bien recevoir ici l’expression de ma gratitude et me pardonner la liberté que j’ai prise de citer divers passages de leurs lettres qui m’ont paru jeter un jour instructif sur les points en litige. Je tiens à remercier très spécialement M. de Saussure de la patience et de l’inépuisable complaisance qu’il a apportées à l’examen de nos textes « hindous ».

C’est enfin et avant tout au médium lui-même, à Mlle Hélène Smith, l’héroïne de ce livre, que j’ai à coeur de témoigner ma reconnaissance - et celle du lecteur - pour la permission d’imprimer qu’elle a bien voulu octroyer à ce travail. Car il n’est pas superflu d’attirer l’attention sur le fait que je me trouvais ici en présence d’un délicat problème de déontologie professionnelle. Les médecins n’éprouvent aucune hésitation à faire paraître dans leurs journaux spéciaux, à la réserve des noms propres, les cas intéressants qu’ils rencontrent au cours de leur pratique hospitalière ou de leur clientèle privée ; il est admis que ce droit de propriété scientifique leur revient en sus (et quelquefois comme succédané) de leurs honoraires, et le bon public ne s’en émeut point. Les expérimentateurs aussi qui travaillent avec des sujets payés se sentent les libres propriétaires des observations qu’ils ont pu recueillir, et toute latitude leur est laissée de les publier sans avoir égard aux convenances des individus d’où elles proviennent. Mais il n’en est point de même du pauvre psychologue aux prises avec des personnes non malades, plongées dans la vie sociale ordinaire, qui livrent leurs phénomènes étranges par pure bonne volonté, et dont lesdits phénomènes sont si frappants, si admirés d’un nombreux entourage, qu’il ne saurait être question d’en publier la moindre parcelle sans que cela se sache rapidement et que le sujet décrit soit facilement reconnu de beaucoup de lecteurs. Comment agir en pareil cas ? A-t-on le droit, vis-à-vis de la science et de la vérité, de se désintéresser complètement des choses instructives dont on est témoin, et de se renfermer dans un prudent mutisme sur des faits où les badauds, eux, ne se feront aucun scrupule d’avoir et d’émettre des opinions d’autant plus tranchées qu’elles sont peu éclairées ? A-t-on le droit, vis-à-vis des personnes, de livrer à une publicité indéfinie, et sous un jour qui n’est pas forcément celui auquel elles étaient accoutumées, des faits confinés jusque-là dans un cercle limité d’amis et de connaissances ? Questions bien embarrassantes. En attendant que l’usage ait établi sur ce point des règles précises, je me suis arrêté au parti le plus simple, qui consistait à soumettre mon manuscrit ou mes épreuves au médium lui-même, et à n’imprimer qu’avec son assentiment.

Il est clair que je n’aurais pas songé à une telle entreprise avec n’importe qui. Car d’une part il ne pouvait être question pour moi d’abdiquer en rien ma liberté, tant de penser que d’écrire conformément à mes idées ; or combien y a-t-il, d’autre part, de médiums qui accepteraient de voir leurs phénomènes exposés et expliqués d’une façon à peu près scientifique, c’est-à-dire bien différente de la manière qui prévaut généralement dans les milieux spirites où leurs facultés se sont développées ? Dans le cas particulier, heureusement, la difficulté me semblait moindre, grâce au caractère élevé et distingué du médium avec qui j’avais affaire. Mlle Smith me semblait en effet une personne remarquablement intelligente et bien douée, fort au-dessus des préjugés ordinaires, très large et indépendante d’idées, et capable en conséquence de consentir, par simple amour de la vérité et du progrès des recherches, à ce que l’on fît de sa médiumité une étude psychologique, au risque d’aboutir à des résultats peu conformes à ses impressions personnelles et à l’opinion de son milieu.

Mes espérances n’ont pas été déçues. Sans doute Mlle Smith a manifesté plus d’une fois un certain étonnement de ma façon d’interpréter les phénomènes les plus singuliers de sa médiumité ; elle est loin d’être d’accord avec mes conclusions ; elle taxe même sévèrement mes procédés d’analyse, et elle estime que souvent je « dénature » les faits à force de vouloir les ramener à mes explications ordinaires de prosaïque psychologue ; bref, ses jugements sont en maints endroits, et sur des points capitaux, en éclatante opposition avec les miens. C’était à prévoir. Mais, et c’est ici le fait sur lequel je désire insister, elle n’a point pris occasion de ces inévitables différences d’appréciation pour entraver le moins du monde mon étude et tenter de restreindre ma liberté. Même dans les cas où notre désaccord devait lui être le plus sensible, elle a fait preuve d’une tolérance scientifique, d’une hauteur de vues, et je dirai d’une abnégation, que l’on ne rencontre certes pas souvent. Elle a ainsi rendu ce travail non seulement possible, mais relativement aisé, ce dont je tiens à lui exprimer ici mes sincères et vifs remerciements.

Encore un mot sur mes rares citations d’auteurs. La littérature considérable concernant l’hypnotisme et la psychopathologie, sans parler de la psychologie normale ni de l’histoire du spiritisme ou des sciences occultes, m’aurait facilement fourni de nombreux rapprochements à propos d’un cas touchant à toutes ces branches, et j’eusse pu accumuler au bas des pages, sans m’écarter de mon sujet, des renvois à plusieurs centaines d’ouvrages ou articles divers. J’ai préféré me priver de ce plaisir - ou m’épargner cette peine ! - afin de ne pas alourdir encore un volume déjà trop gros, et me suis borné aux quelques indications bibliographiques qui me revenaient comme d’elles-mêmes à la mémoire. Il est cependant quelques théories, d’ailleurs parentes et en partie coïncidentes, que je tiens à rappeler parce que, sans peut-être les citer jamais explicitement, je leur ai constamment emprunté leurs expressions, leurs vues, leurs métaphores, qui sont du reste plus ou moins entrées dans le domaine commun au point qu’il serait malaisé de s’en passer en pratique. Je veux spécialement parler de la désagrégation mentale de M. P. Janet, du double-moi de M. Dessoir, des états hypnoïdes de MM. Breuer et Freud, et surtout de la conscience subliminale de M. Myers [2]. Je n’avais point à exposer ici des théories, ni à les discuter dans leurs rapports et leur valeur respective ; la dernière particulièrement, celle de M. Myers, dépasse tellement le niveau d’une conception scientifique ordinaire, pour prendre les hautes envolées et l’allure parfois mystique d’une véritable métaphysique (ce dont je suis loin de lui faire un reproche), que ce n’est pas à l’occasion d’un cas individuel que l’on peut songer à l’apprécier, ce que je serais au surplus fort embarrassé de faire. Mais je voulais au moins nommer ces théories dans cette préface, en reconnaissance de tout ce que je leur dois de précieuses suggestions et de formules commodes.

Florissant, près Genève, novembre 1899.
T. F.


P. S. - Bien que j’attache peu d’importance aux définitions nominales - trop peu sans doute, car je crois avoir souvent manqué de conséquence et de fixité dans mon vocabulaire -, il ne me paraît pas inutile de donner au lecteur non spécialiste de brèves indications sur quelques termes qui reviennent fréquemment sous ma plume.

Le mot de médium s’applique dans les milieux spirites à tout individu qui est censé pouvoir servir d’intermédiaire entre les vivants et les esprits des morts ou autres. Comme c’est un inconvénient, pour l’exposition scientifique des faits, d’employer une terminologie impliquant des affirmations dogmatiques discutables, les psychologues anglais et américains, gens pratiques, substituent volontiers au mot de médium celui d’automatiste, qui ne préjuge rien et désigne simplement les personnes présentant des phénomènes d’automatisme - c’est-à-dire involontaires et souvent ignorés du sujet, quoique empreints d’intelligence - où les spirites voient l’intervention des esprits désincarnés (songes significatifs, hallucinations véridiques, écriture mécanique, dictées par la table, etc.). En attendant qu’automatiste soit reçu en français, j’ai conservé le terme de médium, mais abstraction faite de son sens étymologique et de toute hypothèse spirite, comme un vocable commode pour désigner les personnes présentant les susdits phénomènes, quelle que soit d’ailleurs l’explication véritable de ces derniers.

À médium se rattachent médianimique, médianimisme, qui suggèrent encore plus fortement cette idée d’âmes intermédiaires (media anima) ayant la faculté d’entrer en rapport avec les habitants de l’autre monde ; et médiumnité, médiumnisme, etc., qui conservent jusque dans leur n un visage étymologique de cette même doctrine. Il m’a paru préférable, puisque je prenais le mot de médium en le dépouillant de son sens dogmatique, d’en former directement (c’est-à-dire sans l’introduction de cette n grosse de sous-entendus spirites) les dérivés médiumique, médiumité, etc., à l’exemple des Allemands qui emploient déjà Mediumit-ät. Cela n’exclut pas d’ailleurs l’usage occasionnel de médianimique, médiumnité, etc., lorsqu’on tient à évoquer spécialement le souvenir des théories spirites.

Les mots subliminal (sub limen ; unter der Schwelle ; sous le seuil) et subconscient, ou sous-conscient, sont pratiquement synonymes et désignent les phénomènes et processus qu’on a quelque raison de croire conscients, bien qu’ils soient ignorés du sujet parce qu’ils ont lieu pour ainsi dire au-dessous du niveau de sa conscience ordinaire. La question reste naturellement ouverte de savoir si et jusqu’à quel point, dans chaque cas particulier, ces processus cachés sont vraiment accompagnés de conscience ou se réduisent au pur mécanisme de la « cérébration inconsciente », auquel cas l’expression « conscience subliminale » ne peut plus leur être appliquée que métaphoriquement, ce qui n’est point une raison pour la bannir.

L’adjectif onirique (du grec oneiron, « rêve ») est actuellement reçu en français ; peut-être est-il regrettable que le mot, moins savant mais plus clair, de rêverique, qui a été parfois employé [3], n’ait pas prévalu.

Par cryptomnésie enfin, j’entends le fait que certains souvenirs oubliés reparaissent sans être reconnus du sujet, qui croit y voir quelque chose de nouveau. Dans les communications ou messages fournis par les médiums, la première question (mais non la seule) qui se pose est toujours de savoir si, là où les spirites font intervenir les désincarnés ou quelque autre cause supranormale, on n’a pas simplement affaire à de la cryptomnésie, à des souvenirs latents du médium qui ressortent, très défigurés parfois par un travail subliminal d’imagination ou de raisonnement, comme cela arrive si souvent dans nos rêves ordinaires.

Les crochets [] renferment mes remarques personnelles intercalées dans des citations ou contextes étrangers.

Voir en ligne : Chapitre I : Introduction et aperçu général

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Table des matières

  • 3 — Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme
    • 1. Débuts médiumiques de Mlle Smith
    • 2. Mlle Smith dans son état normal
    • 3. Phénomènes automatiques spontanés
      • 1. Permanence de suggestions extérieures
      • 2. Irruptions des rêveries subliminales
      • 3. Automatismes téléologiques
    • 4. Des séances

Notes

[1M. Lemaître a publié sur ce cas, dans les Annales des sciences psychiques du Dr Dariex (tome VII, 1897, p. 65 et 181), deux articles auxquels j’ai souvent l’occasion de renvoyer le lecteur. Ces articles de M. Lemaître constituent, avec ma communication sur la langue martienne à la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève (6 avril 1899 ; Archives des sciences physiques et naturelles, tome VIII, p. 90), tout ce qui a été publié jusqu’ici sur le présent cas.

[2P. Janet, L’Automatisme psychologique. Paris, 1889. État mental des hystériques, etc. - M. Dessoir, Das Doppel-Ich. Berlin, 1890. - Breuer et Freud, Studien uber Hysterie, Vienne, 1895. - F. W. H. Myers « The Subliminal Consciousness », Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. VII, p. 298, et volumes suivants.

[3Revue britannique, t. XXX, Paris, 1850, p. 368, 369, etc. (« perceptions rêverique ») (« Le côté noir de la nature », trad. du Blackwoods Magazine).

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